Chapitre 2

Arts, culture et religion dans l'Angleterre élizabethaine

Introduction

I) De la Réforme anglicane à la "via media"

II) Essor des arts et de la culture

III) Censure et adoration de la Reine

Conclusion

Introduction

Pour comprendre cette population décrite grâce à l'étude démographique, ses repères, son art et ses coutumes, il faut s'adonner à un volet d'Histoire culturelle. Pour comprendre les spécificités de la culture anglaise pendant l'ère élizabethaine, on abordera successivement le passage de la Réforme anglicane à la via media, réforme de la reine Elizabeth Ière visant le compromis entre catholiques et protestants, l'essor des arts et la question de la censure et de l'adoration de la Reine.

I) De la Réforme anglicane à la "via media"

Au cours du XVIème siècle, l'Église anglaise a pris son indépendance par rapport à l'Église de Rome qui perdait déjà une part de ses fidèles avec la Réforme protestante: c'est la Réforme anglicane. Celle-ci se déroule en deux étapes et connaît un changement avec la reine Elizabeth Ière qui trouve finalement un compromis entre le protestantisme et le catholicisme qui partageaient encore les convictions religieuses du peuple anglais.

A) Les prémices de la rupture avec Rome

Une première étape se déroule au XIVème siècle. Déjà à cette période, de nombreuses critiques circulaient à propos de l'Église romaine notamment depuis que le théologien John Wyclif et Martin Luther avaient dénoncé la décadence des autorités spirituelles et notamment du pape. En effet, prêtres et moines vivent dans certaines parties de l'Europe et notamment en Italie en concubinage et s'enrichissent de l'argent des fidèles. À cela s'ajoutent la peur de l'enfer et les angoisses liées au Salut qui se sont amplifiées avec la Grande Peste du XIVème siècle auxquelles répond l'Église romaine répond par la pratique des indulgences, une pratique non-inscrite dans les textes sacrés.

Une indulgence accordée en 1521 dans le diocèse de Constance. Les indulgences étaient offertes à des fidèles moyennant un prix conséquent pour leur assurer le passage au Paradis, pratique non-écrite dans les textes bibliques d'où les critiques des protestants, http://www.gabrieleweis.de/3-geschichtsbits/histo-surfing/4-neuzeit1/4-2-renaissance/synopsenbilder/ablassbiref.jpg

De même, les chasses aux sorcières, autorisées depuis le XIIème siècle par l'Église catholique, se multiplient au début du XVème siècle. Aussi, Wyclif, afin d'ouvrir la foi aux fidèles, avait-il traduit en anglais le Nouveau Testament. Ainsi, plusieurs version furent autorisées notamment sous Henri VIII et Elizabeth Ière.

B) Henri VIII et la rupture avec Rome

Déjà avant la Réforme anglicane, le roi d'Angleterre avait une influence prépondérante sur l'Église anglaise, d'où le fait que ce sont moins des courants religieux que des politiques qui l'ont amené à son terme. Le rôle du roi a été cependant capital et son accession au pouvoir constitue une nouvelle étape vers la Réforme anglicane. A l'origine destiné à une carrière ecclésiastique, ce roi avait reçu une formation théologique et s'était montré au début de son règne comme un fervent catholique obéissant à l'Église romaine. À tel point qu'il a défendu les sept sacrements contre Martin Luther et a obtenu pour cette raison le titre de Défenseur de la Foi. Il s'était même opposé avec vigueur avec le lord chancelier Thomas More à la traduction de la Bible de William Tyndale. Henri VIII a toutefois amené l'Église anglaise à rompre avec la papauté de Rome. Le motif était en grande partie personnel: le roi voulait se séparer de sa femme Catherine d'Aragon pour épouser Anne Boleyn. Pour le justifier, il présente un extrait de bible justifiant l'annulation de mariage. Le pape Clément VII refuse toutefois l'annulation. Dès lors, en 1531, le roi rompt les liens avec le pape. En 1534, il fait rédiger l'Acte de Suprématie faisant de lui et de ses successeurs le chef unique et suprême de l'Église d'Angleterre. De nombreux protestants auront malgré tout été décimés sous son règne, l'anglicanisme n'annihilant pas le catholicisme de l'État anglais dans le contexte des guerre de religion liées à la Réforme protestante qui commence dès le début du XVIème siècle.

C) La Via Media

Lorsque Elizabeth Ière arrive au pouvoir, elle se trouve face à un peuple anglais divisé entre le catholicisme et le protestantisme, division née du règne de Edouard VI puis de Marie Tudor. On ne connaît que très peu ses convictions religieuses, ce qui s'explique en grande partie par sa politique de voie médiane ou via media visant à éviter une guerre de religion comme dans le reste de l'Europe. Ainsi, elle se fait non plus chef mais gouverneur de l'Église anglicane en 1559: elle nomme les deux archevêques et ne dirige plus directement les institutions religieuses anglaises. Excommuniée par Rome en 1570, la reine fait publier l'année suivante 39 articles exposant la via media écrit dans des termes dont le flou permet une lecture à la fois catholique et protestante. Elle déclarait ne pas souhaiter que ses sujets soient persécutés pour leurs convictions religieuses. Grâce à ses articles, elle atteint son objectif et évite de cette manière les guerres et tensions intra-étatiques au sujet de la religion. La communauté catholique connaissait dès lors deux tendances: celle des anti-élizabethains qui refusaient la reine car excommuniée, et les pro-élizabethains qui choisissaient d'obéir en tant que sujet anglais. La raison de ces deux tendances se trouvait aussi dans le fait que le catholicisme a malgré tout été considéré comme illégal mais toléré. Les persécutions s'arrêtaient en échange d'une soumission à la couronne. Quant aux messes et aux cérémonies, celles-ci étaient autorisées mais devaient être cachées et une petite amende était à payer pour non-assistance à l'ostie anglican, ce qui laissait une certaine liberté aux catholiques. De même, afin de ne pas trop changer le contexte de vie du peuple, les saints les plus populaires ont été conservés au détriment des nombreuses critiques des théologiens protestants. Seules deux minorités ne trouvaient pas leur compte dans la via media: les militants catholiques, peu soutenus, et les dissidents protestants, peu actifs comparé au premier groupe. Vers la fin de son règne et plus particulièrement pendant la guerre contre l'Espagne, la reine a exécuté quelques 300 de ces groupes, principalement des catholiques, pour complot contre la couronne. De même, elle fait enfermer et exécuter sa cousine Marie Stuart, reine de remplacement potentielle que les comploteurs soutenaient. Ainsi, l'image de la reine amenant la paix colportée par l'Histoire Wig se trouve être en grande partie remise en cause.

L'Angleterre d'Elizabeth Ière est donc un État où règne un compromis religieux adopté par les politiques et qui semble être accepté par la majorité des sujets.

II) Essor des arts et de la culture

Le règne d'Elizabeth Ière n'est pas seulement l'occasion d'un compromis religieux. Il est aussi le moment de l'essor des arts et de la culture anglaise. Bien que loin derrière la France et l'Italie, l'Angleterre devient une centre culturel important à cette période.

A) Art et culture: définitions

Avant d'entamer toute analyse, il faut faire le point sur les définitions. Aussi, commençons par celle de la culture. En français, il existe plusieurs usages. Un premier, plus connu, concerne un sens restreint qui renverrait à toutes les références produites par l'éducation, les industries médiatiques, la littérature et les beaux-arts. À cela s'oppose une définition plus large qui englobe tous les acquis transmis par les institutions, la famille, et la mémoire et qui donnent un sens à nos perceptions. Dès lors, il est possible de trouver une culture locale, générationnelle, sociale voire idéologique. Dans ces cas, l'opposition entre élites et classes populaires n'a pas grand sens. En confère en France le r non roulé issu des précieuses de Paris qui, au XVIIème siècle, cherchaient à se distinguer du bas-peuple. Ce r non roulé s'est ensuite diffusé dans les classes populaires. De même, l'anglais parlé par le bas peuple en Angleterre a fini par remplacer le français parlé par les élites au XVIème siècle. Ces deux exemples montrent bien des communications entre les deux niveaux de la société. Cela permet une certaine compréhension des sociétés, des éléments de la réalité pouvant échapper aux autres types d'analyses historiques tels que l'Histoire économique, politique ou social par exemple. Autre définition problématique, celui de l'art. Étymologiquement, l'art est issu du latin ars, artis et du grec techné ce qui englobe les savoirs-faire en général. Ce sens a été valable durant toute l'Antiquité et le Moyen-Âge. En effet, les artistes étaient payés par des riches leurs commandant des œuvres, souvent les glorifiant ou faisant l'éloge de personnages religieux comme souvent lorsque l’Église devient client. Le cas de la Chapelle Sixtine peinte par Michelangelo entre 1508 et 1512.

B) Littérature, alphabétisation, et langue anglaise

La lecture de la bible était encouragée par l'anglicanisme en voie de protestantisation. De fait, on observe une hausse considérable de l'alphabétisation en Angleterre sous le règne élizabethain. Hausse de 40% de la population entre 1550 et 1600 qui sait signer. La langue quant à elle devient véritablement anglaise et le français parlé par les élites disparaît peu à peu. La preuve en est une production de livres imprimés exclusivement en anglais. Au cours de l'ère élizabethaine, l'Angleterre connaît un fort essor de la littérature: l'anglais gagne ses lettres de noblesse. La poésie avec Edmund Spencer et sa Reine des fées publiée en 1590 et 1596 en hommage à la reine, et le théâtre avec l'incontournable Shakespeare vers 1600, ou encore Ben Jonson (Volpone) et Christopher Marlowe (Docteur Faust) sont autant d'exemples de ce phénomène. Le Théâtre du Globe, lieu encore aujourd'hui des plus grandes représentations théâtrales londonienne, ouvre ses portes en 1598.


THE LEGENDE OF THE

KNIGHT OF THE RED CROSSE, OR OF HOLINESSE.

L O I the man, whose Muse whilome did maske,
    As time her taught, in lowly Shepheards weeds,
    Am now enforst a far vnfitter taske,
    For trumpets sterne to chaunge mine Oaten reeds,
    And sing of Knights and Ladies gentle deeds;
    Whose prayses hauing slept in silence long,
    Me, all too meane, the sacred Muse areeds
    To blazon broad emongst her learned throng:
Fierce warres and faithfull loues shall moralize my song.


Helpe then, ™ holy Virgin chiefe of nine,
    Thy weaker Nouice to performe thy will,
    Lay forth out of thine euerlasting scryne
    The antique rolles, which there lye hidden still,
    Of Faerie knights and fairest Tanaquill,
    Whom that most noble Briton Prince so long
    Sought through the world, and suffered so much ill,
That I must rue his vndeserued wrong:
O helpe thou my weake wit, and sharpen my dull tong.


And thou most dreaded impe of highest Ioue,
    Faire Venus sonne, that with thy cruell dart
    At that good knight so cunningly didst roue,
    That glorious fire it kindled in his hart,
    Lay now thy deadly Heben bow apart,
    And with thy mother milde come to mine ayde:
    Come both, and with you bring triumphant Mart,
    In loues and gentle iollities arrayd,
After his murdrous spoiles and bloudy rage allayd.


And with them eke, O Goddesse heauenly bright,
    Mirrour of grace and Maiestie diuine,
    Great Lady of the greatest Isle, whose light
    Like Phoebus lampe throughout the world doth shine,
    Shed thy faire beames into my feeble eyne,
    And raise my thoughts too humble and too vile,
    To thinke of that true glorious type of thine,
    The argument of mine afflicted stile:
The which to heare, vouchsafe, O dearest dred a-while.


C) L'architecture de l'Angleterre pendant l'ère élizabethaine

Il en est de même en architecture privée et publique. L'Angleterre développe un style mêlant le gothique français et d'autres éléments de l'architecture de la Renaissance. Le gothique est adapté à l'anglaise formant ainsi le gothique dit perpendiculaire: aux façades aux lignes verticales sont ajoutées des lignes horizontales ainsi que de grandes ouvertures sur l'extérieur. De même, à l'intérieur sont construites des grandes voûtes. Il s'agit d'une affirmation régionale. La longue existence du gothique en Angleterre s'explique en grande partie par l'absence jusqu'à l'ère élizabethaine d'architectes: seuls les compagnons étaient aptes à construire les monuments. Ce qui n'empêche pas pour autant l'édification de monuments colossaux comme les manoirs des nobles, purs instruments de domination et illustration du pouvoir, qui forment de véritables châteaux et dans lesquels sont repris jusqu'au XVIIIème siècle le style des jardins italiens.

 Manoir de Breamore House construit en 1583, http://www.djibnet.com/photo/breamore+house/breamore-house-in-hampshire-an-elizabethan-mansion-built-in-1583-3812185967.html

D) L'essor des sciences

À côté des avancées en littérature et en architecture, on peut citer des avancées dans les connaissances scientifiques, du fait des besoins de la navigation. Sous l'impulsion de John Dee, suivi de Thomas Digges, Thomas Harriot, Edward Wright et William Gilbert, se développent considérablement la cartographie et l'astronomie. De la même manière, la géographie se perfectionne grâce aux recueils et traductions de Richard Hakluyt qui avaient largement contribué à l'expansion outre-mer de l'Angleterre élizabethaine.

Représentation de Richard Hakluyt sur un vitrail de la cathédrale de Bristol, http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:RichardHakluyt-BristolCathedral-stainedglasswindow.jpg

Toutefois, cela n'est rendu possible que par le mécénat de nobles et courtisans tels que Walter Raleigh, Henri percy ou Robert Cecil.

III) Censure et adoration de la Reine

Il faut cependant apporter une nuance à ce tableau du développement culturel. Les arts étaient tous soumis à la censure et devaient mettre en valeur la reine.

A) L'adoration de la Reine

La reine est l'objet d'un véritable culte, encouragé par le pouvoir lui-même. On produit de nombreux éloges de sa personne. Ceux-ci étaient tout à fait originaux dans le sens où ils dépeignaient les qualités de la reine et passaient à l'analyse de ce que lesdites qualités devraient être en pratique soit la manière dont elle devrait récompenser ou favoriser l'auteur et son commanditaire. Cependant le contrôle de l'État était fort. Ainsi dès 1563, des portraits sont faits d'Elizabeth Ière par ordre du Conseil Privé, et doivent suivre des modèles autorisés. Il en est de même pour les miniatures comme le montre le modèle de la reine jeune d'Hiliard qui fait autorité au détriment de celui d'Isaac Olivier, plus réaliste.

Elizabeth Ière par Nicolas Hilliard (XVIème siècle), http://artinvestment.ru/en/news/artnews/20080917_self_portrait.html

Viennent ensuite les portraits littéraires et imagés plus élaborés voire quasi mythologiques à l'instar des poèmes de Edmund Spencer.

B) La censure et condamnations

Comme cela avait été dit précédemment, cette adoration est largement liée au pouvoir. Il s'agit d'une propagande politique. La censure n'est pas nouvelle en Angleterre car existe déjà sous Henri VIII. En 1557, le monopole de l'imprimerie est accordée à Stationers’Company, qui reçoit les compétences pour surveiller les publications. La censure reste modérée jusque dans les années 1580 mais se rendurcit par la suite sous prétexte de l’arrivée des missionnaires séminaristes catholiques. Ainsi, en 1581, une loi prévoyant la peine de mort pour les auteurs de livres séditieux, et l’amputation pour les diffuseurs oraux de rumeurs incitant à la rébellion est adoptée. En 1586, il est décidé que toute presse doit être déclarée à la Stationers’Cy, toute parution doit être soumise à autorisation préalable d’un évêque. Puis en 1599, les livres d’histoire anglaise sont soumis à l’autorisation préalable du Conseil Privé. Le système répressif est efficace: la plupart des presses clandestines sont découvertes au bout de quelques semaines d'activité. Les livres séditieux sont publiés à l'étranger et introduits en contre-bande. La censure peut aussi interdire des pièces de théâtre ou de simples passages comme la scène de renversement du roi dans la pièce Richard II de Shakespeare qui justifie qu'un roi mauvais perde son pouvoir. Le théâtre pose cependant problème pour sa forte réception: placer le spectateur hors de son contexte de vie permet d'aborder le présent le plus polémique.

Conclusion

Il y a donc un véritable essor de la culture pendant le règne d'Elizabeth Ière mais qui reste largement sous la tutelle de l'État. Là, la comparaison pourrait être intéressante avec le reste de l'Europe médiévale: peut-on voir une originalité ou une continuité dans ce phénomène avec le reste du continent?