Chapitre IV

39-45, de ce second conflit planétaire

Introduction

I) Les causes de la guerre

II) Le déroulement du conflit

III) Les particularités de la Seconde Guerre mondiale

Conclusion

Introduction

Après 14-18, beaucoup de Français, comme bon nombre d'Européens, espéraient que la Première Guerre mondiale aurait été la "der des der". Les batailles plus violentes et plus longues que jamais les avaient épuisés. Mais cette espoir est anéanti: entre 1939 et 1945 a lieu une nouvelle guerre mondiale. Afin de comprendre ce nouveau conflit planétaire, nous verrons dans un premier temps, quelles en étaient les causes, puis, dans un second temps, comment s'est-il étendu au monde entier. Enfin, nous étudierons les particularités de cette Seconde Guerre mondiale.

I) Les causes de la guerre

Trois événements sont à l'origine de la Seconde Guerre mondiale: la montée du fascisme en Italie et en Allemagne et de l'impérialisme japonais dans les années 1920 et 1930 ainsi que la faiblesse des démocraties qui s'est déclarée à la même époque.

A) La montée des fascisme en Italie et en Allemagne

"Dans un régime fasciste, on n'apprend pas je suis, tu es mais je hais, tu suis" disait Marc Escayrol, l’auteur de Mots et Grumots. Pour comprendre cette citation, il nous faut tout d’abord ce qu’est le fascisme. De l’italien fascio, ou faisceau, qui symbolise l’autorité dans la Rome Antique, ce mot désigne aussi bien le régime allemand qu’italien entre les années 1920 et 1945. Nous nous intéresserons ici à ces deux types de régime, en analysant leur évolution entre 1919 et 1939 avec, dans un premier temps, leur montée au pouvoir, dans un second temps, leur instauration, puis, dans un troisième temps, leur fonctionnement et leur impact historique. Pour comprendre comment les fascismes italien et allemand sont apparus, il nous faut tout d’abord étudier le contexte dans lequel ils se sont développés, puis voir qui sont les deux futurs dictateurs.

Après la guerre l’Italie est un pays en crise. Jeune pays unifié en 1870, elle n’a su surmonter certaines difficultés telles que la coupure entre le Nord industriel, et le Sud agricole ou Mezzogiorno. En outre, la vie politique, bien que de plus en plus démocratique, reste sous le contrôle d’une petite oligarchie dans laquelle le peuple ne se reconnaît pas. Enfin, les ambitions territoriales de l’État ont été déçues: il avait trahi la Triplice en s’alliant à la Triple Entente dans le but de récupérer un territoire occupé par l’Autriche Hongrie, ce qui ne s’est pas fait. Elle doit en plus de cela, aider aux réparations de la guerre d’après les closes du traité de Versailles. Avec une forte crise économique, le contexte d’après-guerre était donc favorable à la montée des partis extrêmes, aussi bien de gauche comme de droite, en Italie. Parmi les partis de droite nationaliste se trouvaient notamment d’anciens combattants démobilisés et déçus du résultat de la guerre.

A la sortie de la guerre, l’Allemagne est elle aussi en inflation. Le traité de Versailles, perçu comme un diktat* par la population, l’oblige à payer l’essentiel des réparations de la guerre, et la prive quasiment d’armée. De plus, elle voit une de ses régions les plus dynamiques et les plus industrialisées entièrement occupée par les Français et les Belges à partir de 1923 : la Ruhr, situé au Nord Ouest du pays. Enfin, la jeune démocratie, unifiée en 1871, est privée de ses colonies, dont l’Urundi, le Cameroun, et le Togoland, qui deviennent des protectorats Français et Britanniques.

Empire colonial allemand, Wikipédia

Ainsi, le contexte d’après guerre était là aussi favorable à la montée des extrêmes en Allemagne.

Parmi les extrêmes, nous retrouvons un parti de gauche, le KDP, et à droite, la DAP, ou Parti Ouvrier Allemand, composé d’antisémites et de pangermanistes. Les deux hommes qui avaient instauré le fascisme en Italie et en Allemagne étaient des personnes ordinaires. Benito Mussolini était un instituteur socialiste, dit violent mais en réalité contre la guerre. Lui qui avait peur de l’ordre, avait fuit le service militaire en Suisse en défendant des thèses anarchistes en 1902. Revenu en Italie en Novembre 1904, on l’oblige à faire son service militaire. En 1910, il est secrétaire de la fédération socialiste livournaise et il dirige le périodique officiel L'idea socialista, rebaptisé Lotta di classe. Expulsé du Parti Socialiste Italien le 29 Novembre 1914, après la publication de son livre De la neutralité absolue à la neutralité active et agissante, en italien Dalla neutralità assoluta alla neutralità attiva ed operante, il s’engage dans la première guerre en signant un ralliement à la campagne interventionniste entamée le 5 octobre par le manifeste des Faisceaux d’action internationalistes. Le sentiment d’exister dans un groupe le fait basculer alors vers une idéologie plus militariste et de droite. En 1918, il est complètement désœuvré et cherche un combat à mener. Il crée alors en 1919 les faisceaux de combat, un parti hétérogène, composé d’anciens combattants, de nationalistes et d’anarcho-syndicalistes, faisant régner la terreur dans les milieux de gauche avant de devenir le PNF, ou Parti National Fasciste, en 1921.

En Allemagne aussi une personne ordinaire va prendre de l’importance suite à la guerre. L’autrichien Adolf Hitler était un élève tout ce qu’il y avait de plus médiocre et était persuadé d’être un artiste. Sa frustration est grande lorsqu’il est refusé aux Beaux Arts. La guerre lui fait découvrir à lui aussi le sentiment d’exister dans un groupe, sentiment qui va, de la même manière que Mussolini, beaucoup lui plaire. Rappelé à l’arrière pour des problèmes oculistes, il apprend la défaite et ne la supporte pas. Adhérent à la DAP, il rebaptise en 1920 le parti en NSDAP, le Parti National Socialiste des travailleurs Allemands qui présente déjà un programme raciste et antisémite visant à remettre en cause le traité de Versailles. Ainsi, ce fut dans un contexte de crise politique et économique que deux hommes fondèrent deux partis fascistes entre 1919 et 1920.

Ces deux partis prennent de l’importance par la suite. Nous verrons ici de quelle manière ils arrivent au pouvoir, leur idéologie, et comment finissent-ils par instaurer un État totalitaire. En Italie, le PNF se réunit en congrès à Naples en 1922. Mussolini y déclare alors "Nous voulons être l’État". En Octobre, les chemises noires* défilent dans Rome, avec le soutien de la police, des magistrats, et des milieux patronaux, afin de convaincre le roi Victor Emmanuel III d’appeler Mussolini au gouvernement. Ce dernier ne bloque pas la manifestation, bien qu’il en avait les moyens, pour éviter toute guerre civile et nomme le dirigeant du parti fasciste président du Conseil le 29 Octobre 1922.

Marche dans Rome 1922, Histoire 1<sup>er</sup>L-ES-S édition Hatier, 2007

En Allemagne, la conquête du pouvoir est plus difficile. Après un putsch* manqué en 1923, Hitler est emprisonné. Dans sa cellule, il écrit Mein Kampf, Mon Combat, où il expose ses idées ainsi que son programme et le fait publié en 1925, le but étant d’obtenir le pouvoir par la voie légale. Pendant ce temps, le NSDAP perdait de son influence du fait de la reprise économique. Mais la crise de 1929 touche de plein fouet l’Allemagne et permet un renaissance du parti. Les national-socialistes se présentent alors aux élections législatives de 1932 avec le même programme. Le monarchiste Hindenburg est élu mais comprend très vite qu’il a besoin d’un chancelier fort et populaire. Il nomme alors le 30 Janvier 1933 Hitler chancelier. Les programmes des deux partis nous montrent nettement leur idéologie. Celui du PNF annonce déjà la taxation progressive des riches, dont le petit bourgeois égoïste devient vite la représentation populaire, ainsi que la nationalisation des entreprises, la révision constitutionnelle, la confiscation des biens des congrégations religieuses, ainsi que la création d’une milice nationale. Le but est pour les fascistes de fonder une Italie puissante, une "troisième Rome" après celle des Romains et des Papes selon l’expression même de Mussolini.

En Allemagne, le NSDAP, qui devient le parti NAZI après son arrivée au pouvoir, annonce déjà dans son programme l’exclusion voire l'asservissement des personnes de sang non-allemand, notamment des Juifs et les Tziganes, ainsi que des "asociaux" qui regroupent notamment handicapés et homosexuels, au nom de la "supériorité de la race aryenne". Cette idée est directement héritée des thèses de Chamberlain et Gobineau. Il proclame aussi la nationalisation des entreprises, l’élimination progressive des élites, ainsi que la transmission des valeurs du parti par l’enseignement civique.

La dictature se met petit à petit en place en Italie et en Allemagne. En Italie, elle commence avec l’adoption des lois fascistissimes entre 1925 et Novembre 1926. La démocratie est dès lors abolie, et les libertés individuelles suspendues. De même, syndicats et partis opposants, dont les communistes, ne peuvent plus exercer. En outre, la propagande et la censure sont instaurées. Le PNF devient l'État. Il contrôle désormais le pays et les esprits. Les opposants qualifient alors le régime de totalitaire. En Allemagne, l'incendie du Reichstag, commandité par le parti nazi la nuit du 27 au 28 Février 1933 et mis par la suite sur le compte des communistes, la principale force d'opposition, permet à Hitler d'obtenir les pleins pouvoirs le 23 Mars 1933. le programme se met alors en place. Comme il est annoncé implicitement dans la devise "Ein wolk, Ein reich, Ein führer", en français "un peuple, un État, un chef", on unifie le territoire en supprimant les régions fédérales appelées länders, et on centralise le pouvoir à Berlin. Le 14 Juillet 1933, les partis politiques sont interdits et le parti nazi devient le seul légal en Allemagne. En Italie comme en Allemagne, on élimine tous les syndicats en supprimant le rapport patron et ouvrier dans les entreprises. Le premier camp de concentration, destiné pour l'instant aux opposants, est construit à Dachau cette même année 1933. La propagande bat son plein et on crée la section de défense SS, chargé de la protection du führer, puis de la surveillance du peuple avec la police secrète, la gestapo. Dirigé pour le moment par Goebbels, les SS assassinent les membres de la section d'assaut SA qui avaient permis la montée au pouvoir du parti, afin d'éviter toute rivalité le 30 Juin 1934. C'est la nuit des long couteaux. Les SA voulaient, en effet, un État militaire et non une dictature, ce qui allait à l'encontre des objectifs du parti. De même, des autodafé à l'encontre d'œuvres d'intellectuels opposants ou Juifs, comme Freud et Marx, sont menés notamment à Berlin dès 1933. Enfin, les nazis se réunissent en congrès à Nuremberg en 1935. De nouvelles lois sont alors décrétées, mettant en place la persécution et la ségrégation des non-Allemands et "asociaux". Les historiens utilisent aujourd'hui le terme de totalitarisme pour qualifier un régime visant à contrôler la personne tant dans sa vie privée que publique. Il en vient alors à qualifier aussi le régime nazi. l'idéologie d'exclusion reste néanmoins un des points différenciant le fascisme italien du fascisme allemand.

Les partis fascistes arrivent donc légalement au pouvoir, imposent leur idéologie, et plongent progressivement leurs pays dans le totalitarisme. Quelles conséquences sont à retenir de ces changements importants ? Nous verrons dans un premier temps que le totalitarisme a littéralement changé la vie quotidienne dans ces deux pays, puis, nous verrons comment le désir de conquête de ces deux partis va conduire à la Seconde Guerre mondiale. Dans ces deux États totalitaires, le peuple est entièrement sous contrôle.

La propagande est omniprésente, que ce soit sous forme d'affiches placardées dans les rues, à la radio ou au cinéma. Aucun média n'est épargné. Il en va de même en matière d'éducation. Italiens et Allemands sont plongés dans le fascisme dès leur plus jeune âge. En Italie, les enfants de 4 à 8 sont recrutés dans les fils de la louve, où l'on va leur apprendre à se comporter en italiens mussoliniens. En Allemagne sont fondées dans le même but les jeunesses hitlériennes. Le culte de la personnalité est instauré. Le dictateurs est alors vu comme un guide, ce qui ne fut pas sans conséquences sur les chefs fascistes eux-même comme peut nous le montrer la devise de Mussolini: Mussolini a toujours raison, ce qui peut être considéré comme une des plus grandes contre-vérité en vue des contradictions dans ses discours. Enfin, le nombre de camps de concentration continue d'augmenter : En 1937 est créé le camp de concentration Buchenwald, situé dans la région de Thuringe, au centre de l'Allemagne, principalement peuplé de résistants. En 1938, un autre camp de concentration est construit en Autriche, Mauthausen. Le but d'un tel encadrement de la population est d'obtenir une main d'œuvre suffisante, et gratuite en ce qui concerne les déportés des camps de concentration, afin de permettre au pays d'atteindre l'autarcie, ce qui est chose faîte vers la fin des années 1930. L' Allemagne devient, en effet, grâce à cette stratégie la seconde puissance industrielle après les États-Unis.

Enfants membres d'une organisation de Jeunesse du Parti Nazi, vers 1934, Histoire 1<sup>er</sup>L-ES-S édition Hatier, 2007

L'autre but de cette stratégie est de pouvoir préparer une nouvelle guerre qui permettrait de satisfaire les ambitions territoriales des deux pays. Dans son rêve d'une « troisième Rome », Mussolini tente de conquérir les territoires du pourtour méditerranéen. Il n'en obtient que l'Éthiopie, le seul pays jamais colonisé, en 1936. Il s'attire alors la haine des Européens. Il signe alors un pacte d'alliance Rome-Berlin, qui marque alors la naissance des forces de l'Axe.

Du côté Allemand, un des projets du parti est de regrouper tous le peuples germaniques en un immense pays. Cela implique donc la recherche d'un « espace vital » suffisamment grand pour tous ces peuples, et cela au détriment des autres États européens. Pour ce faire, le gouvernement allemand remet en cause le traité de Versailles en remilitarisant la Rhénanie. En 1938, l'Allemagne annexe l'Autriche. C'est l'Anschluss*. En Septembre de la même année, une conférence est organisée à Munich afin de décider de l'annexion des Sudètes, sans la présence du gouvernement tchécoslovaque. Sont alors présents le Royaume-Uni, représenté par Chamberlain, la France, représentée par Daladier, l'Italie, et l'Allemagne. Cette dernière obtient gain de cause. En Mars 1939, la Tchécoslovaquie devient un protectorat allemand. Le 1er Septembre de la même année, l'Allemagne rompt le pacte d'acier avec l'URSS en envahissant la Pologne. C'est une véritable Blitzkrieg, ou guerre éclair: la combinaison des blindés et de l'aviation permet à la Wehrmacht, l'armée allemande, d'entrer le 15 Septembre à Brest-Litovsk et Lvov. Varsovie cède le 27 Septembre. Cette invasion provoque dès lors l'engagement du Royaume-Uni et de la France. Avec la Grande Bretagne, l'Australie et la Nouvelle Zélande s'engagent les dominions, dont le Canada et l'Afrique du Sud, et les colonies britanniques, notamment l'Inde et le Nigeria. Ainsi entre 1920 et 1939 sont nés deux régime fascistes et totalitaires, dont les ambitions territoriales et l'idéologie ont entrainé la seconde catastrophe planétaire qui a ouvert le XXème siècle et qui marque encore ce XXIème : la Seconde Guerre mondiale.

B) L'impérialisme japonais

Au cours de la seconde moitié du XIXème siècle, jusque dans les années 1930, le Japon s'ouvre sur le monde. S'en suit alors une politique de rapprochement vers l'Occident et de colonisation des terres d'Asie de l'Est durant trois ères politiques: l'ère Meiji, Taisho, puis Showa. Afin de comprendre comment cet impérialisme est né et a joué dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, nous mènerons une étude de chacune de ces ères dans un ordre chronologique.

Fils de l’empereur Komei et de la dame Nakayama Yoshiko, le futur empereur est né le 3 novembre 1852, époque à laquelle le Japon était encore isolé du reste du monde et dirigé par les shoguns de la famille Tokugawa. Il était coutume de confier l’éducation des enfants impériaux aux familles proéminentes de la cour. Ainsi, celui qui était au départ appelé prince Sachi a passé la plus grande partie de son enfance dans la famille des Nakayama à Kyoto. Le 11 Juillet 1860, il est adopté par la principale épouse de l’empereur Komei, Asako Ny?g? et reçoit alors le nom de Mutsuhito et le titre de Kotashi, ou « prince couronné ».

Mutsuhito, jeune empereur du Japon (1867), http://farm3.static.flickr.com/2078/2071617235_9f19f7cdd1.jpg

Le 11 Janvier 1867, soit à l’âge de 15 ans, Mutsuhito se marie avec la fille du seigneur Ichijo Tadaka, la dame Haruko. Elle est la première épouse impériale à recevoir le titre de kogo, ou « épouse de l’empereur », et donc, la première à jouer un rôle public. Elle n’aura néanmoins pas d’enfants de Mutsuhito. Le prince a eu aussi quinze enfants avec cinq dames officielles. Mais seuls cinq atteignent l’âge adulte : le prince couronné Yoshihito, futur empereur Taisho de 1912 à 1926, et les princesses Masako, Fusako, Nobuko, et Toshiko.

Mutsuhito adulte

En 1854, « les bateaux noirs » du commodore Perry arrivent à la baie d’Edo, et en 1858, les États-Unis, suivis de la Grande Bretagne, de la Russie, de la Hollande et de la France, obligent le Japon à signer un traité commercial ouvrant ses ports au monde occidental. Un tel bouleversement politique et économique a provoqué au Japon la naissance d’un courant de conservateur contre l’ouverture du Japon, et d’un courant réformiste, favorable, au contraire, à son ouverture. Les conflits entre ces deux courants sont tels que le shogun Yoshinobu se voit dans l’obligation de renoncer à ses fonctions, laissant le pouvoir au jeune Mutsuhito, à peine âgé de 15 ans. Il devient alors le 19 novembre 1867, le 122ème empereur du Japon. Influencé par les idées des réformistes, il met fin à sept siècles de régime féodal, à la dictature des Tokugawa et entame l’occidentalisation du Japon. Débute alors, en 1867, le règne d’un jeune empereur réformiste et ce qui sera appelée après sa mort l’ère Meiji.

L’ère Meiji commence par un grand nombre de réformes concernant la politique intérieure et extérieure du pays dans le but de mettre le Japon au même rang que les pays occidentaux. En 1868, Mutsuhito crée la charte des cinq articles qui annonce la fin du régime féodal et son projet de moderniser le Japon. Mutsuhito commence par renommer Edo Tokyo, la « capitale de l’Est », en 1869 et abolit officiellement la hiérarchie sociale instaurée sous l’ère Tokugawa en 1871, ainsi que tous les privilèges. Les seigneurs se trouvent alors dans l’obligation de rendre leurs fiefs à l’empereur, ce qui lui permet d’unifier le pays, et les samouraïs ne peuvent plus porter le sabre en 1876. De même, les clans militaires sont dissous. Mais cela au prix de plusieurs guerres civiles et révoltes, toutes regroupées en deux période : la guerre de Boshin qui dura de janvier 1868 à mai 1869, et la guerre de Seinan, qui dura de 1874 à 1877 et marqua la fin des samouraïs. L’empereur réussi ainsi à s’imposer comme le seul dirigeant et annoncer ses premières réformes. Il crée, en 1875, la première armée nationale japonaise. Le service militaire est en outre aboli faisant de l’armée japonaise une armée de métier dont le recrutement n’est plus basé sur le système des castes.

Louis-Emile Bertin (1840-1924)

Entre 1886 et 1890, le Français Louis-Émile Bertin fonde la première marine militaire du Japon, les arsenaux de Kure et de Sasebo, et se fait le réorganisateur de l'arsenal de Yokosuka.

 Université de Tokyo, Tokyo Daigaku, fondée en 1877 (aujourd’hui), http://fr.academic.ru/pictures/frwiki/89/Yasuda_Auditorium%2C_Tokyo_University_-_Nov_2005.JPG

Côté éducation, l’enseignement devient obligatoire. On ouvre de nombreuses écoles publiques et une nouvelle forme d’élite naît grâce à un enseignement d’État compétitif. L’empereur développe aussi les moyens de transports et de communication par la construction de lignes ferroviaires, telle la première ligne reliant Tokyo à Yokohama construite en 1874, de lignes télégraphiques, et d’un pont de fer sur la rivière Sumida en 1887. En 1871 sont instaurés un nouveau système bancaire, un système fiscal fondé sur une réforme foncière, et le yen. La nouvelle monnaie facilite et multiplie les échanges du Japon avec l’Occident, ce qui permet au pays de satisfaire ses besoins en biens d’équipement et de consommation ainsi que d’exporter des produits manufacturiers. Enfin, Mutsuhito opère une dernière rupture avec le régime féodal en séparant le bouddhisme du shintoïsme et en élevant ce dernier au rang de religion d’État Mutsuhito règne donc en souverain absolu sur le Japon à partir de 1868. Mais en 1889, l’empereur introduit une constitution établissant un régime parlementaire composé de deux assemblées de deux chambres. Le gouvernement reste néanmoins responsable devant Mutsuhito qui détient alors les rênes du pouvoir. Il s’entoure aussi d’un cercle de conseillers : les Genrô. Mutsuhito crée ainsi une oligarchie qui travaille à l’élévation du Japon au rang de puissance industrielle. De même, ce gouvernement définit la nouvelle politique extérieure du Japon. Ainsi, en à peine 21 ans, le Japon passe d’un régime féodal à un régime parlementaire.

Mais cette occidentalisation ne se limite pas à de simples changements dans la politique intérieure. Mutsuhito clame son désir d’allier la culture occidentale à celle du Japon dans le dernier article de la Charte des cinq articles en disant : « on ira chercher à travers le monde la connaissance afin de renforcer les fondements de la règle impériale ». Dans cet objectif, nous l’avons vu, l’empereur crée un régime parlementaire directement inspiré de celui du Royaume-Uni et une armée dont le fonctionnement est inspiré du modèle allemand. De même signe-t-il des accords avec les puissances européennes. L’empereur accueille aussi savants et techniciens du monde entier afin d’emprunter les techniques qui lui paraissent bonnes pour le Japon, tel que le rail et le télégraphe.

Empire colonial du Japon à la fin de l’ère Meiji (fabrication personnelle)

Mais l’occidentalisation est allée encore plus loin : le Japon s’est lancé dans l’aventure coloniale. L’empereur engage son pays dans une série de guerre qui se terminent toutes par un franc succès. En 1894, le Japon entre en guerre avec la Chine : c’est la guerre Sino-japonaise. A la fin de cette guerre en 1895, le Japon signe un traité avec le pays vaincu qui lui confère la souveraineté sur les îles Okinawa, les îles Pescadores ; l’actuelle Taïwan ; et la cession de Formose. La Chine doit en plus lui céder une partie de la Manchourie du Sud, reconnaître l’indépendance de la Corée du Sud, tant désirée par le Japon qui peut désormais y exercer librement son influence. De plus, elle se voit dans l’obligation de verser de fortes indemnités au pays vainqueur. En 1904, le Japon entre en guerre contre l’Empire Russe qui convoite la Corée et la Manchourie. Il est battu à Port-Arthur le 2 Janvier 1905. Grâce à l’intervention des États-Unis, le Japon obtient la moitié Sud de la Sakhaline, l’archipel des Kouriles. De même, la Corée entière est désormais indépendante et sous son influence à partir de 1910. Cette victoire contre l’empire Russe retentit alors dans le monde entier et permet au Japon de s’affirmer comme première puissance non-occidentale. La politique de Mutsuhito a donc été un vrai succès. Il meurt en 1912, prenant alors le nom posthume d'empereur Meiji. Sa femme Haruko, elle, meurt deux années plus tard. Leur fils Yoshihito prend alors le pouvoir.

Fils de l’empereur Meiji et de l’une de ses dames officielles, Yoshihito naît le 31 août 1879. Il fit ses études dans une université de style occidental, devenue aujourd’hui l’une des plus prestigieuses du Japon : l’université Gakushuin.

Gakushuin aujourd’hui, http://www.gakushuin.ac.jp/univ/eco/images/photo.jpg

Étant l’un des rares enfants, et surtout le seul garçon, de Mutsuhito ayant survécu, il reçoit officiellement le nom de Yoshihito et le titre de Haru no miya, ou prince haru le 6 septembre 1879.

L’empereur Taisho/Yoshihito L’impératrice Sadako/Teimei
Yoshihito et ses fils Michi et Chichibu Les quatre fils de Taisho en 1921

Il se marie le 10 mai 1900 avec la fille du prince Kujo Mitchitaka, Sadako, avec laquelle il aura quatre enfants : le prince Michi, futur empereur Shôwa, ou Hirohito, né en 1901; le prince Chichibu ou Yasuhito né en 1902; le prince Takamatsu né en 1905 et le prince Mikasa ou Takahito né en 1915. Suite à la mort de son père en 1912, Yoshihito est couronné en 1915 à Kyoto et devient ainsi le 123ème empereur du Japon. Mais, des séquelles au cerveau dues à une méningite contractée trois semaines après sa naissance le rendent rapidement incapable de gérer les affaires du pays. Une rumeur aurait aussi circulé à son sujet concernant un possible saturnisme dû au maquillage qu’utilisait sa nourrice. Cette maladie étant généralement due à une intoxication au plomb, cela rend cette thèse probable. Ainsi apparaît sur la scène politique du Japon un nouvel empereur et commence une nouvel ère : l’ère Taisho. Bien que le règne de Taisho n’ait duré que 14 ans, il a été largement marqué par une avancée du parlementarisme, une forte industrialisation du Japon, et un renforcement de son impérialisme. L’ère Taisho débute avec la fin des oligarques et la naissance d’un Japon plus démocratique.

A partir de 1885, le monde politique japonais fonctionne sur un système d’alternance entre des gouvernements issus du clan de Chôchu et de Satsuma. Le nouvel empereur voulait donc abolir cette relation politique en provoquant le lent déclin des oligarques. Lors du changement de règne en 1912, un nouvel équilibre naît entre les partis politiques et les oligarques. Cet équilibre avait été rendu possible par l’affaiblissement du pouvoir des genrô et un renforcement du pouvoir de l’empereur. Ce nouveau système politique ne diminuant pas assez l’influence des oligarques, Yoshihito décide explicitement de mettre fin à l’oligarchie en déclarant que "sonnait le glas de la vieille oligarchie en tranchant les liens qui avaient assuré jusqu'alors la cohésion de la bureaucratie". Dès lors, le gouvernement de l’amiral Yamamoto Shiro prend quelques mesures renforçant l’influence des partis politiques. En 1913, une ordonnance impériale supprime les statuts des ministères de l’armée et de la marine, réservant ainsi le poste de ministre aux officiers généraux en activité, et, en août de la même année, une autre ordonnance vient soustraire des postes de haut fonctionnaires aux dispositions réglementaires relatives à la nomination des agents de l’État. Parmi eux, nous retrouvons le directeur du bureau législatif et le secrétaire général du cabinet politique, le préfet de police, et les vices premiers ministres, hors mis ceux de l’armée et de la marine. Ces deux changements marquent la fin de l’oligarchie établie sous l’ère Meiji. On parle souvent de la « démocratie Taisho » en désignant cette nouvelle ère. De même, de nouvelles réformes sont mises en place pour que s’installe la démocratie : en 1925 sont votées les lois sur le suffrage universel masculin, et en 1928 ont lieu les premières élections. A la suite de cet événement, les partis Seiyukai et Minsei sont élus mais sans la majorité absolu. Néanmoins, du fait d’un taux de participation aux élections de 80,36%, nous pouvons affirmer qu’une véritable conscience démocratique est née dans l’esprit des Japonais au cours de l’ère Taisho. La démocratie et le parlementarisme ont donc fait un grand pas en avant en ce Japon du début du XXème siècle.

Au cours de la Première Guerre mondiale, le Japon s’engage au côté de la France et du Royaume-Uni. Le pays connaît alors une seconde révolution industrielle suivie de divers mouvements sociaux. La guerre 14-18 est l’occasion pour le Japon de connaître un Seconde Révolution Industrielle. Les Européens se retirent en effet du marché asiatique pour l’effort de guerre, et la rupture des échanges commerciaux avec l’Allemagne, motivée par l’alliance de 1902 entre le Royaume-Uni et le Japon, stoppe l’importation et stimule les secteurs chimique et pharmaceutique. Enfin, les commandes militaires accroissent la production de fer, d’acier et de machines-outils. L’industrie lourde augmente ainsi sa production entre 1914 et 1920 de 5,6%. La main d’œuvre masculine est en outre rapide à se syndiquer. Les chantiers navals se développent de plus en plus du fait de l’augmentation des échanges. De même sont construits des barrages afin de répondre aux besoins énergétiques du pays. Le progrès est tel que le Japon peut désormais exporter en Europe et en Asie. En 1920, il est détenteur de 2,7 milliards de créances à l’étranger. La production augmente chaque année de 10% et, bien que le nombre d’ouvrières soit toujours supérieur à celui des ouvriers, le nombre de travailleurs industriels double entre 1914 et 1925. L’on recense les premiers mouvements sociaux du Japon au cours de l’ère Taisho. Le Japon avait été jusqu’ici plutôt épargné par ce type de phénomène du fait de la grande hostilité du gouvernement. Ce dernier avait par exemple instauré une loi, le Chian Keisatsu Hô, qui interdisait tout recrutement syndical dans les usines. En 1912 naît le premier syndicat japonais, le Yuaikai, fondé par Suzuki Bunji. De religion chrétienne, Bunji avait étudié les mouvements syndicaux de type chrétiens à l’étranger. Majoritairement composé d’ouvriers qualifiés, le Yuaikai connaît un rapide succès avec environ 20 000 syndiqués en 1918 grâce à des idées modérées, des revendications limitées au lieu de travail, visant à améliorer les conditions de travail des ouvriers sans pour autant les engager dans un révolution. Le syndicat prône également la solidarité entre prolétaires. Cette modération lui permet alors d’éviter le Chian Keisatsu Hô. Mais en 1917, le Japon connaît une grave crise économique. Le mouvement devient plus violent. On passe en effet de 49 grèves en 1912 à environ 24 488 en 1919. Le Yuaikai parle désormais de lutte des classes et d’organisation horizontale ou fédérations industrielles. Le communisme commence donc à entrer au Japon. En 1919, Yuaikai devient Sodomei et tente de ne plus se limiter à l’unité de production. On crée des fédérations du tissu et de l’acier. Le 2 mai de la même année est célébrée pour la première fois la fête du travail. L’agitation s’intensifie par l’engagement de la majorité du peuple. Ce sont effectivement près de deux millions de japonais qui descendent dans les rues lors des émeutes du riz à Komesodo entre juillet et septembre 1918, mécontents de l’inflation du riz , et du manque de réaction du gouvernement face à l’opportunisme flagrant des plus riches. Dans les campagnes, on assiste à des mouvements d’agriculteurs protestant contre le système des grands propriétaires. Les terres agricoles appartenaient à de grands propriétaires qui y exploitaient des agriculteurs dans des conditions de quasi esclavage. Sur ces terres, le système féodal perdurait alors que ces propriétaires étaient à la solde de la famille impériale. Au cours de l’ère Taisho de véritables partis prolétaires sont apparus. L’industrialisation et l’occidentalisation avaient fait réapparaître des phénomènes similaires à ceux qui s’étaient déroulés en Europe quelques années auparavant. En 1922 est fondé le Nihon Kyosanto, ou parti communiste japonais. En 1926, deux partis prolétaires se préparent pour les prochaines élections législatives : le Rôdômintô, ou parti des travailleurs et des paysans, et le Nihon Rônôtô, ou parti japonais des travailleurs et des paysans. L’apparition du parti communiste japonais inquiète néanmoins le gouvernement qui adopte une politique sociale prise en charge par le ministère de l’intérieur. Il tente alors de mettre en place une loi protégeant les intérêts des syndicats, persuadé que le seul moyen pour améliorer les conditions de vie des travailleurs est de leur permettre de se défendre eux-mêmes. Le projet est très vite abandonné sous la pression du Seiyukai, parti politique proche du pouvoir exécutif fondé en 1900. Ainsi, même si la démocratisation, l’industrialisation et l’occidentalisation ont permis au Japon de rattraper son retard sur les autres puissances internationales, cette nouvelle politique a entraîné des problèmes sociaux importants.

Un renforcement de l’impérialisme japonais a lieu au cours de l’ère Taisho. Celui-ci est directement dû à la Première Guerre mondiale et aux traités de Versailles et de Washington qui l’ont suivi. En 1914, le Japon déclare la guerre à l’Allemagne et se range du côté de la France et du Royaume-Uni. Il ne participe pas au conflit en Europe mais attaque les positions allemandes en Asie et en Chine. L’armée japonaise envahit le Shandong en cette année 1914, étendant ainsi son influence dans le Liaodong, une zone déjà conquise en grande partie. L’Allemagne y perd alors ses mines et chemins de fer et se trouve dans l’obligation de céder les îles Marshall, Marianne, et Caroline dans le Pacifique. Le Japon souhaite aussi profiter de l’absence des puissances coloniales européennes pour faire des demandes à la Chine. Il présente alors en 1915 ses 21 demandes, regroupées en cinq catégories ayant pour buts l’approbation des transferts des droits allemands, l’extension des privilèges en Mongolie et Manchourie du Sud, et le contrôle commun de la compagnie Kanyahyô Konsu, une importante compagnie d’extraction et de raffinage de charbon et de fer. La Chine n’ayant pas le soutien des pays européens dut accepter toutes les demandes, hormis la cinquième catégorie. Nous pouvons ainsi constater que l’audace et l’impérialisme du Japon sont de plus en plus forts au cours de cette ère Taisho. En 1919, les pays vainqueurs de la Première Guerre mondiale se réunissent à Versailles afin de signer le fameux traité de Versailles qui décide alors des réparations de guerre que doit payer l’Allemagne. Parmi les pays vainqueurs se trouvaient la France, le Royaume-Uni, l’Italie qui avait changé de camp au cours de la guerre, les États-Unis et le Japon.

De gauche à droite: David Lloyd George représentant du Royaume-Uni, Vittorio Orlando, représentant de l’Italie, Georges Clémenceau représentant de la France et Thomas W. Wilson représentant le Etats-Unis lors de l’élaboration du traité, http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/versailles_1919.htm

Le traité permet au Japon de conserver son contrôle sur les îles du Pacifique mais pas de garder la province de Shandong, ce qu’il refuse catégoriquement. Il a fallu attendre que la Société des Nations se réunisse à nouveau lors du traité de Washington entre novembre 1921 et février 1922 pour que le Japon, alors sous la régence d’Hirohito, consente à laisser la province et reconnaître l’autonomie territoriale de la Chine. Le traité avait aussi pour but de limiter la marine des États dans l’espoir d’éviter un nouveau conflit mondial. Ainsi, en plus de décevoir ses plans de colonisation, le Japon dut limiter sa force navale. Ces deux traités sont donc les facteurs d’une rupture entre les militaires et les politiques. L’armée était devenue plus impérialiste que les politiques, elle n’a donc eu de cesse de remettre en cause les traités. L’empereur Yoshihito meurt en 1926 et s’achève ainsi l’ère Taisho.

Le prince héritier Hirohito en 1919

Premier fils de l’empereur Taisho et de l’impératrice Sadako, Hirohito est né le 29 avril 1901 dans le palais de Aoyama à Tokyo. Il est le premier futur empereur depuis une centaine d’années dont la mère biologique est l’épouse officielle de l’empereur. Il est séparé de ses parents et confié, comme le veut la tradition, au comte Kawamura Sumiyoshi, ancien amiral à la retraite, et son épouse avec son frère cadet Chichibu. Il reçoit son éducation dans le palais détaché d’Akasaka jusqu’en 1908, puis poursuit ses études dans l’école pour garçons de Gakushuin jusqu’en 1914. Il a alors pour maître un autre militaire, l’ancien général Maresuke Nogi, devenu célèbre lors de la guerre russo-japonaise. Il finit son éducation au Centre de supervision de l’éducation de la maison du prince héritier. Il reçoit aussi une formation militaire avec pour maître une autre figure de la guerre russo-japonaise, l’amiral Heihachiro Togo et historique avec le maître Kurakichi Shiratori, autre fervent nationaliste, défenseur d’une monarchie à l’image de celle de l’ère Meiji. Il étudia en outre la morale confucéenne, la théologie shintoïste, l’Histoire de la famille impériale, les théories de Herbert Spencer sur la sélection naturelle, le darwinisme social, et la langue française. En 1921, Hirohito entreprend un voyage de six mois en Europe et visite le Royaume-Uni, la France, l’Italie, le Vatican, les Pays-Bas et la Belgique. A son retour cette même année 1921, l’empereur Taisho n’est plus capable de diriger son pays, Hirohito devient alors régent du Japon. Il se familiarise ainsi avec son futur rôle d’empereur en se chargeant des obligations quotidiennes de son père telles que celle d'assurer la lecture d’ouverture de la session annuelle de la Diète impériale, le Parlement japonais, la réalisation des rituels shintô, la signature des actes officiels, décrets et lois. Son initiation politique est prise en charge par l’ancien Premier ministre Kinmochi Saionji, le dernier genrô vivant en 1924 et grand admirateur des systèmes politiques britannique et étasunien. Sous la régence d’Hirohito sont par ailleurs instaurées des réformes libérales comme le suffrage universel en 1925 ou la réformes de la Chambre des pairs désormais accessible à certains roturiers et dont le poids politique est diminué au profit de la Chambre des représentants.

Le régent Hirohito et sa nouvelle épouse la princesse Nagako,
 en 1924, http://www.cc.matsuyama-u.ac.jp/~tamura/tennousyasinn.htm#kekkonn

Le 26 Janvier 1924, Hirohito épouse la princesse Kuni Nagako malgré l’opposition qu’avaient manifesté les chambellans et les fonctionnaires. La jeune femme était effectivement la première épouse d’un héritier qui n’était pas issue de l’une des cinq branches de sekke, ou classe supérieure de l’aristocratie de la cour japonaise, du clan Fujiwara depuis le début du VIIIème siècle. A la mort de l’empereur Yoshihito Taisho en 1926, Hirohito lui succède. Débute alors une nouvelle ère : l’ère Shôwa, la « paix rayonnante ».

Vers la fin de l’ère Taisho et sous le règne d’Hirohito se développe un courant militariste et nationaliste au Japon. Ce nationalisme a vu le jour entre les années 20 et 30 et trouve ses origines dans les problèmes sociaux de l’ère Taisho et la crise des années 1930. En 1925 subsiste un fossé culturel entre le monde rural et urbain : les ruraux, qui représentaient la majorité des Japonais, ont conservé les valeurs traditionnelles tandis que les villes connaissent une libération des mœurs. Ajoutons aussi que l’idéologie démocratique est restée le fait de la presse et des syndicats et que les écoles primaires conservaient l’idéologie impériale. Le monde rural, du fait de ce premier problème, devient alors la base sur laquelle le nationalisme se développe dans les années 30. Mais dès les années 20, nous pouvons assister à une certaine montée des courants nationalistes. Les mouvements d’extrême droite ont des ramifications diverses : terroristes, groupes de femmes aikoku fujinkai, clubs pour la jeunesse. Ces mouvements se retrouvent dans les universités et au gouvernement. Le Kokuhonsha, fondé en 1924, regroupent des militaires, des professeurs et des fonctionnaires déçus par les décisions du gouvernement et notamment en matière de colonisation. De plus, l’État n’est pas aussi tolérant avec la liberté d’expression. Elle charge la police de la pensée shisôkeisatsu de persécuter les syndicats les plus actifs et les communistes, ce qui en soit constitue un nouveau problème social. Le Kyôchôkai, fondé en 1919, regroupe des spécialistes, des fonctionnaires, des industrielles et des professeurs ayant pour but de promouvoir une idéologie contraire à celle de la lutte des classes. Ils pensent que les syndicats sont inutiles car tout le monde travaille au bien de la nation. Fidèle à cette idée, cette organisation force les entreprises à pratiquer le paternalisme, et, influencée par le fascisme Allemand, devient à la fin des années 20 de plus en plus nationaliste. En outre, l’économie du Japon dans les années 1920 et 1930 est entièrement tournée vers l’étranger. Ainsi, quand la crise de 1929 commence au États-Unis, le pays est très vite touché. Cette crise économique entraîne la chute des prix, en particulier dans l’agriculture, les importations et les exportations. De nombreuses PME, ou petites et moyennes entreprises, font faillite. Un chômage de masse fait son apparition au Japon, provoquant une vague de grèves qui profitent plus aux nationalistes qu’aux syndicats. En 1931, le ministre des finances Takahashi use d’une méthode similaire à celle de l’économiste britannique Keynes afin de gérer la crise : Il contribue à l'amélioration du système économique par des dépenses publiques, émet des obligations et propose des prêts à bas taux. Les mesures prises par le ministre sont un succès : en 1933, les industries reprennent du service. Mais la crise a propagé le nationalisme et la xénophobie au Japon. On critique le capitalisme, les capitalistes en général, et le Parlement qui, selon l’extrême droite, défend leurs intérêts. Mais une autre crise, cette fois-ci politique, joue l’élément déclencheur de la montée au pouvoir des nationalistes. Elle a lieu dans les années 1930 et est directement lié à la conférence de Londres et aux décisions de la Société des Nations, et se traduit par la célèbre affaire de la Manchourie.

Le Premier ministre Osachi Hamaguchi (1870-1930), Japanese Library of Parliament Digital Archive

La conférence de Londres se déroule en avril 1930 et a pour but de limiter la force marine des grandes puissances. Elle aggrave ainsi la frustration des militaires, en partie à l’origine du nationalisme et du militarisme développés à la fin de l’ère Taisho. Le Premier ministre Hamaguchi est dans l’obligation de réduire le tonnage des navires de guerre japonais. L’Armée et la Marine distribuent alors des tracts et usent de la propagande afin d’exprimer leur mécontentement. En novembre 1930, Hamaguchi est assassiné lors d’un attentat nationaliste. De nombreux actes de ce type sèment par la suite la terreur au sein du gouvernement. Sous pression, le gouvernement succédant à celui d’Hamaguchi augmente le budget de la Marine. Les militaires finissent donc par s’affranchir des décisions politiques et à s’affirmer comme les véritables dirigeants du Japon. Une partie de la Manchourie du Sud est déjà sous contrôle japonais depuis l’ère Meiji. Du fait de leur idéologie expansionniste, les nationalistes souhaitent étendre l’influence du Japon dans la région. Mais depuis 1910, les nationalistes Chinois tentent de reprendre le contrôle de la zone japonaise. Afin de déclencher les hostilités, des espions Japonais font exploser une bombe sur le chemin de fer de Port Arthur en accusant les nationalistes Chinois. L’armée japonaise attaque en 1932 et crée le pseudo-Etat de Manzhouguo, avec à sa tête le dernier empereur de la dynastie Quing, Puyi, destitué en 1911.

L’empereur Puyi (1906-1967), http://fr.wikipedia.org/wiki/Puyi

L’empereur Hirohito nomme alors Inukai au poste de Premier ministre. Ce dernier réussit à relancer l’économie. Opposé à l’agressivité de l’armée, il tente de redresser le gouvernement civil mais se fait assassiner en 1932 par un groupe de jeunes.

Le Premier ministre Tsuyoshi Inukai (1855-1932), http://www.city-okayama.ed.jp/~kibic/inukaitsuyoshi.htm

Suite à de nombreux assassinats politiques, la restauration Shôwa Ishin se met en place. Il n’y a plus de partis politiques tolérés, les politiciens ne sont plus des membres de la Diète impériale mais des militaires. L’empereur, quant à lui, nomme des Premiers ministres de plus en plus ultra-nationalistes. En 1937, Hirohito nomme Konoe au poste de Premier ministre. Issu de la famille impériale, il se fait tout bonnement manipuler par les nationalistes qui lancent une politique de soutien à l’Armée dans la guerre contre la Chine. En 1936, le Japon se heurte à l’Armée rouge dans les confins de la Sibérie et de la république populaire mongole. L’Allemagne nazie tente alors de trouver un nouvel allié en signant avec lui le Pacte Antikomintern le 25 novembre de la même année. Par ce pacte, les deux pays peuvent s’entraider dans leur politique expansionniste. Ainsi, dans les années 1930, nous assistons à la montée au pouvoir des militaires nationalistes au Japon. Nous pouvons néanmoins remarquer que si la Seconde Guerre mondiale pour les Occidentaux commence en 1939, pour les Japonais, elle commence en 1931, d’où l’expression la « guerre de 15 ans ».

C) La faiblesse des démocraties

La faiblesse dont les démocraties ont fait preuve face à l'avancée des fascismes et aux nouvelles tensions, constitue un nouveau facteur de la Seconde Guerre mondiale. Dans le premier tome de son ouvrage La Deuxième Guerre mondiale, paru entre 1948 et 1954, Winston Churchill dénonce le manque de réaction des démocraties d'avant la Seconde Guerre mondiale face à l'avancée de l'Allemagne nazie. En France, l'"anxiété régnait". En outre, avait été "dressé tout un catalogue des violations de traités, immenses et redoutables dans leur gravité, commises par l'Allemagne", mais quand le britannique demandait pourquoi les français "n'en saisissaient pas la Société des Nations, pourquoi l'Allemagne n'était pas invitée, ou même sommée d'expliquer sa conduite et de préciser exactement ses activités", on lui répondait que "le gouvernement britannique désapprouvait des mesures aussi alarmantes", en d'autre termes, refusait catégoriquement de réagir. La raison est claire selon Winston: le membre du Parlement Malcom John Macdonald, "appuyé de toute l'autorité" du Premier ministre Stanley Baldwin,"prêchait à la France le désarmement et l'appliquait aux Anglais", laissant ainsi les Allemands "avancer à pas de géant". De plus, les États-Unis étaient trop "préoccupés par leurs problèmes intérieurs et économiques". Une telle faiblesse des démocraties est directement due aux conséquences immédiates de la Première Guerre mondiale et à la crise économique des années 1930 qui les empêchent de faire face aux nouvelles tensions, notamment en Espagne. Nous pouvons en effet constater que les États-Unis ont subi d'importantes pertes humaines et doivent affronter de nombreux problèmes économiques dont le plus important reste la crise de 1929. Estimer le nombre de pertes humaines des États-Unis est encore difficile car les statistiques varient souvent selon les sources. Mais toutes s'accordent sur leur grand nombre. En tout, ce serait environ 126 000 soldats tués, 234 300 blessés, 4 526 disparus et 2 450 prisonniers de guerre sur un total de 4 355 000 troupes mobilisées. Ajoutons à cela les morts accidentelles ou de maladie, telle que la grippe de 1918 ou grippe espagnole, et nous obtenons le nombre accablant de 116 516 soldats.

Malades de la grippe espagnole à l'U.S. Army Camp Hospital No. 45 à Aix-les-Bains,
.S. Army Medical Corps photo via National Museum of Health & Medicine website at [U.S. Army Camp Hospital No. 45, Aix-Les-Bains, France, Influenza Ward No. 1.], Reeve 14682

Ce nombre a par ailleurs été retenu le 31 décembre 1918. Des cérémonies et des monuments sont alors dédiés à la mémoires de ces soldats. Nous pouvons par exemple citer le Sommepy Monument, à Sommepy-Tahure dans la Marne, le Montfaucon Monument à Montfaucon-d'Argonne dans la Meuse, le Chaumont Marker à Chaumont, dans la Haute-Marne.

Le Montfaucon Monument à Montfaucon-d'Argonne, http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Butte_de_Montfaucon_%28Am%C3%A9ricains_-_Argonne_1918%29.JPG

Au départ franco-étasunienne, la mémoire de ces soldats est très vite entièrement gérée par les États-Unis à partir de 1920. Les États-Unis sont aussi victimes d'importants problèmes économiques. Selon une étude menée en 2001, la guerre a coûté près de 476 milliard de dollars valeur 2007. De même, les dettes publiques du pays ont fortement augmenté au cours de cette période. Elle passèrent effectivement de 3 609 244 262, 16 dollars en 1916 à 27 390 970 113, 12 dollars en 1919 du fait d'un important nombre d'emprunts pour financer la guerre. Le pays a néanmoins fait d'importants prêts aux pays alliés européens pendant la guerre.

Le président Roosevelt en 1933, Bibliothèque du Congrès des Etats-Unis

Le krach boursier de 1929 reste néanmoins le problème le plus important. Il a lieu le jeudi 24 octobre 1929 à Wall Street, la bourse de New York. En quelques heures ce sont pas moins de 12 millions de titres qui sont vendus en ce fameux "jeudi noir". Voyant la baisse des cours, les spéculateurs tentent de se débarrasser de leurs actions. Les cours chutent de 30%. Très vite s'en suit une propagation mondiale: la banque allemande Danat Bank et sa consœur autrichienne font banqueroute en 1931. La même année, la livre sterling est dévaluée et le système monétaire de l'étalon-or dans lequel l'unité monétaire se réfère à un poids fixe en or connaît de graves problèmes. La France, elle, refuse toute dévaluation, prolongeant ainsi la crise sur son territoire. Les États-Unis réussissent à sortir de la crise grâce au président Roosevelt et sa politique du New Deal. Cette politique, inspirée par les théories de l'économiste britannique John Keynes, consistait à permettre à l’État d'employer la population, tel un patron, pour mener des grands travaux, relancer la consommation en offrant un salaire et ainsi relancer l'économie. Les États-Unis réussissent donc à sortir de la crise assez tôt mais n'ont pu empêcher les conséquences au niveau mondial. En Europe aussi les bouleversements sont énormes. Affaiblie politiquement et économiquement, elle doit faire face au traumatisme de la population ainsi qu'aux changements géopolitiques qu'avait suscité la Première Guerre mondiale. La guerre a causé d'importantes pertes humaines et dégâts matériels. L'on recense près de 8 millions de morts et 6 millions d'invalides en 1919, sans compter les civils. Le traumatisme est tel que des monuments aux morts sont bâtis en l'honneur de ces victimes comme l'ossuaire de Douaumont en Lorraine construit en l'honneur des morts de la bataille de Verdun, construit après l'événement.

 Ossuaire de Douaumont, http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Ossuaire_de_Douaumont2.jpg

De même des villages entiers sont détruits. C'est notamment le cas de Ailles ou Courtecon dans l'Aisne ou de Bezonvaux et Beaumont-en-Verdunois dans la Meuse. De même, ponts, maisons, usines sont anéantis et les zones agricoles incultivables. Les pays européens subissent aussi de graves difficultés financières: les emprunts faits aux États-Unis les ont largement endettés et la crise de 1929 les touche de plein fouet. « Quand l'Amérique éternue, tout le monde s'enrhume » dit le dicton. De plus, la Première Guerre mondiale a littéralement traumatisé les européens. Bon nombre d'écrivains, de poètes et de peintres témoignent des atrocités de ce conflit. Parmi eux, nous retrouvons Apollinaire qui, au cours de la guerre, témoignait dans les lettres destinées à sa femme de l'horreur des batailles et des tranchées. Beaucoup d'européens se tournent vers le pacifisme et qualifient la guerre 14-18 de "der des der". Des penseurs prophétisent la fin de l'Occident. En 1919, l'écrivain, poète, philosophe et épistémologue français Paul Valéry écrivait: "Il y a des milliers de jeunes écrivains et de jeunes artistes qui sont morts; il y a l'illusion perdue d'une culture européenne ... Il y a la science atteinte mortellement et comme déshonorée par la cruauté de ses applications; il y a l'idéalisme difficilement vainqueur, profondément meurtri..." De plus, l’appauvrissement des populations européennes laisse éclater au grand jour l'enrichissement de spéculateurs restés à l'arrière provoquant ainsi le scandale. Enfin, des transformations géopolitiques importantes ont aussi suivi la Première Guerre mondiale. Le traité de Versailles, signé le 28 juin 1919, fait disparaître les grands empires qu'étaient l'Autriche-Hongrie, l'Allemagne, et Ottoman.

L'Europe en 1900, http://bankstowntafehsc.swsi.wikispaces.net/file/view/Europe_in_1900.jpg/56615858/Europe_in_1900.jpg
 L'Europe après 1919, http://www.emersonkent.com/images/europe_1919.jpg

La logique utilisée afin de faire disparaître les empires, qui devait permettre aux peuples de "disposer d'eux-même" comme le disait le président étasunien Wilson dans ses 14 points aboutit en réalité à un morcellement loin de satisfaire les minorités mais offrant des avantages à la France et au Royaume-Uni, provoquant ainsi de nouvelles tensions. En Russie, le régime communiste se consolide et crée la IIIème Internationale Communiste qui a pour projet d'exporter la révolution. Elle entraine la naissance de foyers révolutionnaires dans les autres États d'Europe, parfois réprimés dans le sang comme en Hongrie ou en Allemagne. Le traité de Versailles et la Société des Nations créée en 1920, qui avaient pour objectif de maintenir la paix mondiale ont finalement entrainé de nouvelles tensions. Face à ces nouvelles tensions, les démocraties se retrouvent en position de faiblesse et ne peuvent combattre le pangermanisme. En France, la République est bousculée par les crises et le changement de régime. Mais, la Guerre Civile Espagnole montre de manière explicite cette faiblesse que ces États cachaient jusqu'alors.

 L'extension de l'Allemagne nazie entre 1935 et 1939, Wikipédia, carte de Historicair http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/92/Extension_of_Germany_%281935-1939%29-fr.svg/400px-Extension_of_Germany_%281935-1939%29-fr.svg.png

Contre le pangermanisme, les démocraties ne font rien. Elles laissent l'Allemagne remilitariser la Rhénanie malgré les clauses du traité de Versailles. Elles laissent faire l'Anschluss en 1938. La même année, lors de la conférence de Munich, l'annexion des Sudètes est autorisée sans que le gouvernement Tchécoslovaque n'ait été représenté. En Mars 1939, la Tchécoslovaquie entière devient un protectorat allemand. Le Reich ne connaît ainsi aucune résistance de la part des États vainqueurs de la Première Guerre mondiale jusqu'à l'invasion de la Pologne. En France, le gouvernement n'arrive pas à faire face à la crise économique et sociale qu'elle subit depuis 1931, entrainée par la dévaluation de la livre Sterling qui avait anéanti son commerce extérieur. Les métayers voient leurs revenus baisser ce qui entraine l'apparition de mouvements de contestation accusant le gouvernement d'abandonner les campagnes au profit des ouvriers. Ces derniers sont pourtant victimes du chômage. Les classes moyennes sont, elles, touchées par la dépréciation de la monnaie qui fait baisser leurs épargnes. Le mécontentement de ces populations entraine alors un profond affaiblissement du gouvernement en place. De plus, l'instabilité gouvernementale de la IIIème République s'aggrave à partir de 1932 augmentant l'inquiétude et le mécontentement des Français. Le modèle français de démocratie libérale apparaît alors comme un système bloqué. Bon nombre d'hommes politiques ou intellectuels séduits par le fascisme qui apparaît comme un modèle politique moderne et efficace, vont alors souhaiter l’avènement d'un régime autoritaire en France. Cette idée devient le projet des ligues qui apparaissent à cette période. Plusieurs scandales accréditent ces idéaux. Le scandale le plus grave reste l'affaire Stavisky. Celle-ci éclate en 1933. Aventurier juif d'origine Russe déjà condamné pour différents délit, a vendu de faux bons du Trésor en bénéficiant de la protection d'hommes politiques au pouvoir. Alors que l'affaire est découverte, Stavisky est retrouvé mort dans un chalet à Chamonix le 8 janvier 1934. Suicide ou assassinat? L'extrême droite prend parti dans cette affaire et lance une campagne contre le gouvernement et le régime républicain. Le 6 Février 1934 a lieu une épreuve de force entre la République et les ligues. Celles-ci avaient appelé à une imposante manifestation place de la Concorde à Paris. Le jour même, radical, Édouard Daladier présentait son gouvernement afin d'obtenir un vote de confiance. Les manifestants affrontent les forces de police toute la journée et une partie de la nuit. L'on compte près de 15 morts et 1435 blessés. Daladier recule devant la violence de la manifestation tournée à l'émeute. La République a néanmoins tenu bon. Le 7 Février, Léon Blum titre dans Le populaire, journal du SFIO, " Le coup de force fasciste a échoué". Le lendemain de la manifestation, une forte aspiration à l'unité de la gauche, jusqu'ici dispersée, se fait ressentir dans les classes populaires. L'initiative est prise par les communistes. Au printemps 1934, l'International Communiste, ou Komintern, abandonne la ligne sectaire suivie jusqu'alors, et propose une stratégie de front commun afin de faire face à la menace que le fascisme fait peser sur l'URSS. Elle débouche en France sur la formation du Front populaire. Au mois de juillet, un pacte d'unité d'action est signé entre le PCF et la SFIO. A la même période, Maurice Thorez, chef du PCF, lance une politique d'ouverture vers le parti radical. Le 14 Juillet 1935, radicaux et socialistes, soutenu par les communistes manifestent côte à côte pour la première fois pour une campagne électorale qui devait s'ouvrir en 1936. Le Front populaire remporte les élections le 6 Juin 1936, avec à la tête du nouveau gouvernement, Léon Blum.

Léon Blum (1872-1950), http://www.clgblum.fr/wp-content/uploads/2007/09/leon-blum.jpg

Le résultat des élections entraine une vague de grèves avec occupations d'usines touchant près de 2 millions de salariés. Les ouvriers attendent des avancées sociales de la part du nouveau gouvernement. Le 8 Juillet 1936 sont signés les accords de Matignon accordant une hausse des bas salaires et des conventions collectives, ce qui renforce le droit syndical. A cela s'ajoute l'octroi de 15 jours de congés payés et l'instauration de la semaine de 40 heures. Ces mesures permettent à la fois des avancées sociales considérables et un moyen de lutter contre la crise. Dans la foulée, le Front populaire se fait dirigeant de la Banque de France, jusque-là entre les mains d'intérêts seulement privés, et crée un office interprofessionnel du blé afin d'améliorer la filière de production de céréales et de contrer la crise des campagnes. En 1937, les compagnies de chemins de fer sont nationalisées: la SNCF est née.

En 1933 est élu aux élections législatives la CEDA, parti de droite espagnol. Inquiète d'une éventuelle entrée du CEDA au gouvernement, la direction du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol et un syndicat proche, l'UGT, opte pour une stratégie révolutionnaire de prise de pouvoir. Le dirigeant de la CEDA avait multiplié les gestes laissant croire qu'il voulait faire entrer le fascisme en Espagne. S'en suivit une vague d’insurrection socialistes parfois réprimée dans le sang comme ce fut le cas dans la région des Asturies en 1934, où les socialistes, qui y avaient installé des soviets, durent combattre contre les troupes d'Afrique commandées par le général Franco. Suite à ces événements, l'Espagne est divisée en deux tendances: la gauche qui craint que la droite n'instaure le fascisme et la droite qui craint que les socialistes ne fassent une révolution bolchévique en péninsule Ibérique. C'est dans ce contexte de conflit qu'est élu, en 1936, le Front populaire espagnole appelé el Frente popular, composé notamment du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol, du Parti Communiste Espagnol, et du Parti Ouvrier d'Unification Marxiste. Néanmoins, la coalition avec le PSOE ne dure pas. Le manque d'unité du parti socialiste entraîne la création d'un gouvernement de républicains de gauche et dirigé par Casares Quiroga l'excluant. Le nouveau gouvernement apparaît donc affaibli. Il réussit malgré tout à mener quelques actions réformistes. A commencer par une amnistie pour toutes les représailles qui ont suivi 1934, l'éloignement des généraux soupçonnés de comploter contre le gouvernement, dont Franco. Le statut d'autonomie de la Catalogne est en outre rétabli tout comme celui de la Galice et des Pays Basques. Mais les tensions entre nationalistes traditionalistes et el Frente popular se renforce. L'insurrection que lance Franco contre le gouvernement vire à la guerre civile en juillet 1936. Des massacres se perpétuent aussi bien en zones nationaliste que socialistes et cela sous le nez des démocraties qui ne peuvent intervenir du fait d'une crise économique ou politique. Les fascismes italien et allemand vont en revanche participer au conflit en prêtant main forte à Franco par l'envoi de soldats, d'armes et engins de combat. Le Portugal se contente lui d'envoyer une légion de 20 000 hommes. En France, la non-intervention accroît le fossé entre le Front populaire et les communistes qui jusque-là le soutenaient. A cela s'ajoute la dévaluation du franc entrainée par la politique économique de Blum. En 1937, l'extrême droite étend son influence et lance une campagne de calomnies contre Blum, critiqué pour ses origines juives, et les autres membres du gouvernement. Le 22 juin de la même année, Blum démissionne et le radical Daladier reprend la tête de l’État en 1938. La Guerre Civile espagnole aura montré la faiblesse des démocraties, voire amplifié comme en France, et la force des fascismes.

 Edouard Daladier (1884-1970), http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Daladier.jpg

Nous avons donc pu observer que les démocraties qui sont ressorties vainqueurs de la Première Guerre mondiale sont en réalité affaiblies par les conséquences directes du conflit et subissent des crises économiques, sociales et politiques sans précédentes. Enfin, il nous a été permis de constater que les traités signés après 14-18 ont entrainé la naissance de deux États fascistes, d'un Japon impérialistes, ainsi que des tensions qui n'ont fait que mettre en Pologne, c'est ce contraste entre ces régimes qui va être à l'origine de la Seconde Guerre mondiale.

II) Le déroulement du conflit

Le conflit commence en 1939 et se déroule en trois phases. Nous verrons quelles ces phases et en quoi cette guerre peut être qualifiée de guerre totale.

A) Les phases de la guerre

Le conflit se déroule en deux grandes phases: la victoire de l'Axe de 1939 à 1942, et la victoire des Alliés de 1943 à 1945. L'année 1942 constitue la rupture entre ces périodes. Nous analyserons alors ces deux phases ainsi que cette rupture dans un ordre chronologique.

Les victoires de l'Axe en Europe jusqu'en 1942, http://beaugency.over-blog.com/article-24641267.html
L'avancée japonaise jusqu'en 1942, http://a7.idata.over-blog.com/376x499/2/20/64/66/Extr-me-Orient.jpg

L'Axe nait en 1936 par le pacte d'alliance Rome-Berlin passé entre l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste, et du pacte antikomintern signé avec le Japon. Ces alliances devaient permettre aux trois États de satisfaire leurs ambitions territoriales. Les victoires de l'Axe commencent dès 1939, où l'Allemagne nazie, après bon nombre d'annexions dont l'Autriche et la Tchécoslovaquie en 1938, attaque la Pologne, provoquant ainsi l'engagement de la France et du Royaume-Uni. En réponse à l'attaque de l'Axe, l'URSS annexe la région finlandaise de Carélie le 12 mars 1940, ainsi que l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie et l'Est de la Pologne. Le but est d'empêcher les nazis d'avancer jusqu'aux portes du pays. Le 28 mai, la Belgique capitule face à l'Allemagne, et le 22 juin, une armistice est signée à Rethondes avec la France, marquant alors le début de l'occupation et de la collaboration. Le pays usant encore d'une tactique purement défensive ne pouvait en effet, lutter contre la modernité de l'armée nazie. Le Reich obtient alors le Nord et Nord-Ouest de la France et l'Italie une partie du Sud Est, dont la Savoie et la ville de Nice ayant appartenu à l'Italie avant l'unification de l'Italie au cours du Risorgimento au XIXème siècle. Le 27 septembre 1940, les trois États totalitaristes réaffirment leur alliance par le pacte Tripartite. Cette année, la Yougoslavie, la Bulgarie et l'Albanie sont aussi envahies par l'Italie. Le 18 juin, l'ancien sous-secrétaire à la défense et à la guerre du gouvernement Reynaud, le générale De Gaulle lance en réponse au Discours aux Français du maréchal Pétain prônant l'abandon des combats, un appel à la résistance et invite "les officiers et soldats Français", et "les ingénieurs et spécialistes des industries d'armement, qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec [lui]". La Grèce capitule face à l'Allemagne le 25 avril 1940. Le 22 juin 1941, l'opération Barbossa et lancé par les forces de l'Axe pour conquérir l'Est. Le 8 décembre de la même année, la Wehrmacht, ou armée Allemande, s'arrête aux portes de Moscou. le 18 novembre 1942, 90% de la ville de Stalingrad en URSS est occupé. Ne reste alors en Europe que les États neutres que sont l'Espagne, le Portugal, la Suisse, la Turquie, la Suède, l'Islande, et l'Irlande du Sud, ainsi que le Royaume-Uni, dernier membre européen de la Grande Alliance, et un État sans territoire pour le moment: la France Libre de De Gaulle qui, en s'unissant cette même année 1942 aux mouvements de résistance intérieurs, devient France Combattante. Côté pacifique, le Japon enchaine les conquêtes. En 1940, il envahit le Sud de l'Indochine et lance une attaque le 7 décembre 1941 sur la base navale étasunienne de Pearl Harbor, dans les îles d'Hawaï, mettant hors de combat huit cuirassés, trois croiseurs, 247 avions posé sur le sol et bon nombre d’autres bâtiments. En 1942, le Japon occupe presque la totalité des îles de l'Indonésie, soit les Indes Néerlandaises, le Nord de la Nouvelle Guinée, les Philippines, les Carolines, Marshall, et Mariannes. L'année 1942 marque un véritable tournant dans cette Seconde Guerre mondiale. La Résistance Française est désormais unifiée et se bat au côté des États-Unis et du Royaume Uni pour la libération de la France et la fin de l'Allemagne nazie et de l'Italie fasciste. En janvier, de nouvelles offensives italo-allemandes ont lieu en Égypte. La première bataille d'El Alamein, dite de Mata, oppose alors l'Africa Korps aux armées du Royaume Uni, commandées par Claude Auchinleck entre juin et juillet 1942. L'avancée de l'Axe est bloquée en Égypte En septembre, la Wehrmacht est stoppée à Stalingrad, en URSS. En octobre, le Royaume-Uni lance une contre-offensive en Libye, et en novembre, les Alliés lance l'opération Toreh puis débarquent au Maroc et en Algérie. une des colonies africaines de l'Axe. La France est alors entièrement envahie par l'Allemagne et l'Axe entre en Tunisie. En février 1943, l'Allemagne capitule à Stalingrad. Du côté du Japon, la bataille de la Mer de Corail menée en mai 1942 au Nord-Est de l'Australie stoppe son avancée au Sud. En juin, la bataille dans les îles Midway lui font perdre quatre portes avions. En août, les États-Unis débarquent à Guadalcanal en mer de Corail. Les Forces Alliées reprennent donc le dessus au cours de cette année 1942.

La victoire des Alliés en Europe (1943-1945), http://beaugency.over-blog.com/article-24641267.html
 La victoire des Alliés dans le Pacifique (1943-1945), http://beaugency.over-blog.com/article-24641267.html

De 1943 à 1945, les Forces Alliées, sous le nom la Grande Alliance, remportent victoires sur victoires. En Europe et Afrique du Nord, elles débarquent en Sicile le 14 juillet 1943, en partant de la Tunisie qu'elles venaient de libérer. Elles remportent une bataille au Mont Cassin en Italie en février 1944. Le 6 juin 1944, c'est le débarquement en Normandie. La Haute-Savoie, lieux de parachutage d'armes et d'autres outils pour la Résistance, se libère le 1er août 1944. De Tunisie toujours, la Grande Alliance, arrive en Provence, en passant par la Sardaigne et la Corse, le 15 août de la même année. En 1944, la France est entièrement libérée, et en 1945, l'Allemagne nazie est envahie à son tour par les Forces Alliées. Le 8 mai, elle capitule. En Asie Pacifique, le Japon est attaqué de tous côtés par l'URSS au Nord Ouest, les États-Unis à l'Est, et le Royaume-Uni, par le biais de l'Australie, au Sud. Entre mai et août 1943, les Alliés reprennent les îles Aléoutiennes. Entre novembre 1943 et mars 1944, les îles Gilbert et Marshall sont libérées. En octobre 1944 débute la reprise des Philippines. Février et avril 1945, les Alliés reprennent Iwo Jima et Okinawa. Entre le 6 et le 9 août, les États-Unis lancent deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. Le 2 septembre 1945, le Japon capitule et devient alors protectorat étasunien. La Seconde Guerre mondiale s'est donc déroulé en deux phases bien distinctes entre 1939 et 1945, se soldant par la victoire de la Grande Alliance, mais qui reste un conflit meurtrier avec près de 60 millions de morts civils et militaires, et dont l'ampleur des dégâts matériels est restée inédite à ce jour.

B) Une guerre totale

La Seconde Guerre mondiale n'a pas seulement un conflit meurtrier. Elle a aussi été une guerre totale, se caractérisant, au même titre que la Première Guerre mondiale, par l'usage de l'économie de guerre et l'interventionnisme de l’État.

L'économie de guerre est une nouvelle fois utilisée au cours de ce conflit. En effet, l'on produit exclusivement pour la guerre, l'on mobilise les Hommes et les esprits. La guerre nécessite deux choses essentielles: le ravitaillement en armes et en nourriture des soldats du front et le financement de la guerre. Pour ce faire, il faut mettre l'économie entièrement au service de l'effort de guerre. Ainsi, Alliés et forces de l'Axe durent réquisitionner toutes leurs industries et augmenter, voire changer entièrement la production, afin de ravitailler leurs armées respectives en armes. En Allemagne, cela est rendu possible par la réquisition des usines des pays occupés pour la production de textiles et de mobiliers, permettant alors à l'Allemagne de consacrer entièrement ses industries à la construction d'armes et d'avions. Elle utilise aussi les détenus des camps de concentrations, notamment ceux du camp Mauthausen, ou Dora en 1944,dans cet objectif. Elle a alors pu augmenter leur production annuelle d'acier de 1,63 %, sa production annuelle d'avions de 2,86%, et de chars de 9,04% entre 1940 et 1943. Aux États-Unis, cela est rendu possible grâce la confiance qu'avait obtenu Roosevelt lors du New Deal. Le pays a alors augmenté sa production annuelle d'acier de 1,31%, d'avions de 40,18 %, et de chars de 85,71% entre 1940 et 1943. Un "résultat que les dictature ne purent jamais atteindre" écrivait l'homme d’État Français, fondateur de l'Union Européenne, Jean Monnet dans ses Mémoires, parues en 1976.

Winston Churchill et Roosevelt lors de la signature de la charte de l'Atlantique en 1941, http://www.lessignets.com/signetsdiane/calendrier/images/aout/14/casabalancachurchillroosevelt35.jpg

La troisième chose nécessaire à l'effort de guerre est la main d’œuvre et les soldats. Pour cela, il faut mobiliser les Hommes et les esprits notamment en justifiant la guerre puis en usant de la propagande. La Grande Alliance commença elle par justifier la guerre lors de diverses déclarations dont la Charte de l'Atlantique en 1941. Dans cette charte, les États-Unis et le Royaume-Uni justifient leur combat par le désir de "rétablir une paix qui fournira à toutes les nations les moyens de vivre en sécurité dans leurs propres frontières", soit de créer un avenir meilleur. Quant aux membres de l'Axe, la guerre était déjà prévue dès la montée au pouvoir des partis fascistes. Rappelons-le , dès les années 1920 et 1930, le Japon, l'Allemagne, et l'Italie avaient l'intention de conquérir des territoires qui leurs étaient refusés par le traité de Versailles, quitte à faire la guerre aux Vainqueurs de 14-18. Chacun use ensuite de la propagande pour encourager les populations à s'engager. Ainsi a été placardée en URSS, en 1941, une affiche dont le slogan était: "Napoléon a été écrasé, Hitler le sera". Le but est ici de rassurer le peuple afin de poursuivre les hostilités. De même au Japon a été diffusée une autre affiche intitulée The Rise of Asia, le réveil de l'Asie, représentant un soldat Japonais brisant les chaînes qu'avaient placé le Royaume-Uni et les États-Unis Nous pouvions retrouver aussi sur la colonne Nelson à Londres, en 1939, une pancarte où était écrit "Civil defense is the business of the citizen", "la défense est l'affaire de tous les citoyens". Par cette propagande intense, les États belligérants réussissaient à engager des ouvriers, des soldats, mais aussi des scientifiques pour la construction de nouvelles armes, dont la bombe atomique.

La Seconde Guerre mondiale bien que singulière par son déroulement, ses causes et ses conséquences aux ampleurs inédites, conserve donc le point commun d'être une guerre totale au même titre que la guerre 14-18.

III) Les particularités de la Seconde Guerre mondiale

La Seconde Guerre mondiale n'est pas une guerre ordinaire. Nous pouvons le voir par la création du système concentrationnaire nazi, le premier a avoir utilisé les camps au niveau continental soit pour l'exploitation de masse soit l'extermination, ou grâce à des événements tels que l'occupation de la France, l'Appel du 18 Juin 1940, et le lancement des deux bombes atomiques qui obligèrent l'être humain à prendre conscience de sa force.

A) Le système concentrationnaire nazi

« Où il n’y a pas d’humour, il n’y a pas d’humanité. Où il n’y a pas d’humour, il y a le camp de concentration » disait Eugène Ionesco dans son ouvrage Notes et Contre notes paru en 1962. Cette déclaration nous montre que le système concentrationnaire nazi laissait place à une déshumanisation progressive des détenus des camps nazis. Un camp peut se définir de plusieurs manières. En l’occurrence, nous considérerons ici qu’un camp est un lieu où sont internés plusieurs personnes, voire des populations entières, par une autorité qui leur est opposée, pour une durée variable. Quel était ce système ? Pourquoi a-t-il existé ? Pour le savoir, nous étudierons dans une première partie les motifs qui ont amené à la création des camps et à qui ils étaient destinés. Dans une seconde, nous verrons comment a été mis en place ce système. Enfin, nous déterminerons de quelle manière il a conduit à « une mort industrielle ».

Après un putsch manqué, Hitler est emprisonné en 1923. Durant son incarcération, il écrit Mein Kampf, où il expose son idéologie et le programme de son parti, le Parti National-Socialiste des Travailleurs Allemands ou NSDAP. On comprend alors que le but était d’exclure une partie de la population. Nommé chancelier en 1933, il commence à le mettre en vigueur. Sont alors visées les personnes faisant soi-disant partie des « races inférieures » et les « indésirables », en majeure partie homosexuels, témoins de Jéhovah et francs-maçons, puis les opposants et les prisonniers de guerre. Des thèses racistes étaient soutenues par le parti. Les origines de celles-ci remontent bien loin dans l’Histoire de l’Europe. Au XVIème siècle déjà, lors de la controverse de Valladolid, Sepulveda citait le philosophe grec Aristote et conjecturait la possibilité que l’humanité puisse être séparée en différentes classes d’Hommes et qu’il existait des « classes supérieures » pouvant dominer des « classes inférieures ». En 1854, le diplomate Arthur de Gobineau publia un livre sur « l’inégalité des races humaine » et y expose l’idée d’une « race aryenne » menacée par le « métissage » avec les « non aryens », dis « inférieurs »qui fut à l'origine de cette idée d'un danger extérieur pour « la race pure » chez les nazis. L’écrivain allemand d’origine britannique Chamberlain publia de même en 1899 un écrit dans lequel il explique que la « race aryenne », conduite par le peuple germanique, sauverait la civilisation européenne chrétienne du « Judaïsme », aussi accusé d’être à l’origine de la mort du Christ. Adeptes de cette vision raciste et antisémite du monde, de nombreux penseurs occidentaux appliquèrent les théories de Darwin sur la sélection naturelle à la société en créant le « darwinisme social ». Ce fut dans cette optique que les nazis visèrent systématiquement les juifs. De même étaient persécutés les Noirs et les Tziganes. Considérés comme membres d’une « race inférieure » à partir de 1681 avec la première expédition germanique en Guinée, les Noirs furent très vite accusés d'avoir été envoyés par les Juifs en Rhénanie pour « souiller et bâtardiser la race aryenne » par Hitler dans Mein Kampf. Accusés comme les Juifs d'être coupables de la mort du Christ, les Tziganes étaient environ 30 000 en Allemagne quand les nazis arrivèrent au pouvoir. Certains vivaient comme citadins « ordinaire » ou pratiquaient encore le nomadisme. L'idée que se faisait le parti raciste de ce peuple est directement héritée de celle déjà visible dans les lois contre « les Tziganes, les vagabonds et les fainéants » votées en 1926. Parce qu'appartenant à une « race différente », ils ne devaient se déplacer en roulotte ou en caravane sans un accord d'un an des autorités, révocable à tout moment. De même, « les Tziganes ou nomades âgés de plus de seize ans ne justifiant pas d'un emploi régulier » pouvaient être envoyés en maison de correction pour une période pouvant aller jusqu'à deux ans, sous prétexte que cela jouait sur la sécurité de la nation. La politique nazi à leur encontre ressembla scrupuleusement à celle menée contre les Juifs.

Le parti raciste avait donc l’intention de lutter contre ce qui était considéré à tort depuis longtemps comme un « danger externe ». Dès 1920, des scientifiques allemands préconisaient l'élimination des « bouches inutiles » en visant tout particulièrement les citoyens handicapés ou frappés d'arriération mentale. La politique eugéniste nazie est directement inspirée de ces théories. En effet, le parti raciste et son dirigeant voyaient dans les handicapés un « danger interne » pour le « corps de la nation ». Selon eux, il fallait isoler, voire exterminer ce qui n'était pas « sain » et « productif », constituant un « fardeau » pour le « Reich », de la « communauté du Peuple ». De même les considéraient-ils comme un « matériau inférieur », leur maladie laissant paraître une prétendue infériorité congénitale. Les homosexuels n'étaient pas non plus épargnés. Ils sont effectivement persécutés dès l'arrivée au pouvoir du parti nazi en 1933. Ils eux aussi accusés de menacer le « corps de la nation », en compromettant le taux de natalité du peuple allemand. A l'arrivée du parti nazi au pouvoir, tous les allemands n'étaient pas forcément en accord avec l'idéologie du nouveau gouvernement, soit parce qu'appartenant aux deux catégories que nous avons décrites ou à un parti politique opposé, soit parce qu'ayant simplement une vision de la vie différentes des nazis. Ce fut notamment le cas des communistes, des témoins de Jéhovah, et des francs-maçons. Le phénomène a aussi pu se remarquer à l’échelle européenne, lorsque le « Reich » s’était développé à son maximum, et fait partie d’un autre « danger interne » pour les nazis. Nous pouvons alors citer l’exemple de Guy Faisant. Né à Rennes le 23 Octobre 1925, fils d’un militant syndicaliste ancien combattant de la guerre 14-18, il est contacté en 1940 par l’OS, l’organisation secrète tenue par le Parti Communiste Français, hostile à l’occupation allemande. Il s’engage alors dans la résistance. Guy est arrêté et déporté le 4 Juin 1942 en qualité de « NN ». Il n’a que 16 ans et demi. Quant aux prisonniers de guerre, ils faisaient partie des premiers à être déportés. Les nazis ne respectaient pas en effet les règles de la guerre dont celle disant que les prisonniers de guerre ne devaient subir les mauvais traitements et le travail forcé. Parmi eux, nous retrouvons Cristobal Soriano. Républicain espagnol fait prisonnier de guerre à la fin de la Guerra Civil Española par les allemands, il est déporté au camp de Mauthausen. Créé en 1938, les déportés espagnols ont beaucoup servi dans la construction de ce camp de concentration. Ainsi se met en place dans les années 1930 en Allemagne, un parti et une idéologie raciste et meurtrière.

Pour lutter contre ces « dangers », les nazis mirent en vigueur différentes solutions telles que les exécutions post-interrogatoire, ou les camps d’internement et de concentration. Nous verrons dans un premier temps, comment et pourquoi sommes-nous passés de camps d’internement à des camps de concentration. Puis dans un second temps, nous analyserons le système concentrationnaire nazi d’avant 1942 et ses différents flux.

Les camps d’internement ne sont pas une invention des nazis, tout comme les camps de concentration. Les premiers camps d’internement existaient déjà bien avant la Seconde Guerre mondiale, notamment dans les empires coloniaux. Ce fut notamment le cas pour le Royaume-Uni en Afrique du Sud. Nous pouvons alors citer le camp de Bloemfontein, utilisé pendant la guerre contre les Boers, peuple qui avait pris parti pour l’Allemagne impériale et qui dut subir la répression britannique à la fin du XIXème siècle. En France, nous retrouvons des camps pour les prisonniers de guerre allemands, autrichiens ou ottomans, construits dès la Première Guerre mondiale tel que celui de Pontmain en Mayenne. De même, des camps d’internement avaient étés dressés en 1939 pour accueillir les ressortissants espagnols ayant fuit l’Espagne franquiste comme Gurs en Pyrénées-Atlantiques, ou Argelès sur Mer en Pyrénées Orientales. Quant aux camps de concentrations, le terme de « Konzentrazionslager » est utilisé pour la première fois pour nommer les camps où l’empire allemand enfermait les Herreros, peuple de Namibie qui tentait de résister à la colonisation pendant la Première Guerre mondiale.

A son arrivée au pouvoir en 1933, Hitler réutilise ce système. Il crée le premier camp de concentration nazi près de la ville de Dachau, en Bavière cette même année 1933. Destiné au départ aux opposants politiques, le camp renfermait aussi environ 250 Tziganes, 5 000 femmes non juives, près de 5 080 prisonniers de guerre russes, ainsi que 1 255 religieux. Le système concentrationnaire se développe au cours des années 1933 et 1941. Les camps de concentrations se présentent alors, pour la plupart, ainsi : un camp central auquel sont reliés des camps annexes ou unités de travail, dis kommandos. Trois types de camps sont alors à distinguer : le type 1, contenant des détenus, le type 2 où les détenus travaillent dans les kommandos, et le type 3 où les détenus eux-même vont construire le camp et les kommandos où ils vont travailler. Ceux-ci étaient en outre construits dans des lieux stratégiques afin que le travail fourni pour l’effort de guerre soit optimal. Mauthausen et Buchenwald étaient construits, par exemple, sur des carrières de pierre. Dora, bien qu’il ne devienne camp de concentration qu’à partir de 1944, était construit sous la terre afin de permettre la fabrication de V2 sans risquer les bombardements. Quant aux camps d’internement dispersés dans les territoires occupés par l’Allemagne nazie, ils sont reliés dans chaque État à une plateforme. Les détenus sont alors dirigés dans un premier temps vers ce lieu avant d’être conduits vers les camps de concentration. Une véritable toile est alors tendue par les nazis sur l’Europe, dans le seul but d’obtenir une main d’œuvre gratuite pour l’effort de guerre.

Le système concentrationnaire avant 1942 (fabrication  personnelle)

Les détenus étaient en effet choisis directement à la plateforme entre ceux aptes au travail et ceux ne pouvant contribuer à l’effort de guerre. Les déportés partant pour les camps de concentration étaient généralement des hommes, des adolescents ou des enfants de bonne corpulence, des femmes, celles-ci pouvant assouvir les besoins des SS, des homosexuels ainsi que des handicapés aptes au travail. Quant aux déportés « inutilisables », ils étaient exécutés. La vie dans les camps de concentrations se distingue de celle menée dans les camps d’internement par une violence et une déshumanisation atteignant leur paroxysme. Les déportés, adolescents et adultes, étaient rasés, désinfectés, et dépouillés de leurs biens dès leur arrivée au camp. Le matin, ils étaient appelés et devaient attendre des heures debout par n’importe quel temps avant d’aller travailler. Ils devaient ensuite subir, en plus de la difficulté du travail qu’ils devaient accomplir à contre-cœur, les violences quotidiennes des SS qui, une fois dans le camp, laissaient libre cours à leurs plus bas instincts. Dans la carrière de Mauthausen, où se trouvent les célèbres « 186 marches », la mort était littéralement mise en scène. Les SS s’arrangeaient par exemple pour que les détenus montant en file indienne les 186 marches avec des sceaux d’excréments, renversent un peu du déchet sur les détenus immédiatement derrière eux, ou les faisaient tomber directement. Ils jetaient aussi des détenus du haut d’un véritable mur de pierre naturel en les appelant « parachutistes », d’où le nom du mur. De même étaient organisées des exécutions publiques auxquelles les déportés étaient forcés d’assister. En cas de résistance, les détenus étaient soit exécutés sur place, soit envoyés dans des cachots. Ces derniers pouvaient mesurer moins d’un mètre carré pour quatre personnes, enfermées pour une période plus ou moins longue, jours et nuits. La mise en pratique de l’idéologie nazie entre 1933 et 1941 se caractérise donc par la construction d’un réseau de camps d’internement et de concentration. La « mort industrielle » est une expression assez courante pour nommer la vague d’extermination dans l’Histoire de l’Allemagne nazie. Elle est décidé en 1942 avec la « Solution Finale » et a entraîné la construction de camps d’extermination et de centres d’euthanasie. C'est au cours d'une réunion de 90 minutes, appelée à tort conférence, à Wansee, le 16 janvier 1942, qu'est décidée la « Solution Finale ». Suite à un long monologue du chef nazi Heydrich, l'extermination en masse des populations, notamment Juives et Tziganes est décidée officiellement. Il expose très clairement l'un ses objectifs: Les « Juifs seront emmenés dans l'Est » en tant que « main-d'œuvre ». Ceux « en état de travailler seront » réunis en « groupes importants de même sexe », afin d'empêcher la reproduction, et serviront pour la « construction des routes ». « Ceux qui auront survécu à tout cela [...]devront être traités en conséquence ». Pour lui, ces éventuels survivants représenteraient « les germes d'un nouvelle expansion Juive ».

 Auschwitz-Birkenau ou Auschwitz II (2008), http://stv-st-germain.com/images/stories/auschwitz-birkenau-main_track.jpg

Chelmo, le premier camp d’extermination, est construit à l’automne 1941. Sobibor, Belzec, et Treblinka sont utilisés en 1942. Ces camps ne sont pour autant que de simples terminaux ferroviaires où les déportés ne pouvant contribuer à l’effort de guerre, les membres des « races inférieures », hommes, femmes, et des enfants sous l’impulsion de Vichy, ainsi que les « asociaux » étaient directement envoyés pour se faire gazer puis incinérer. Il ne fallait effectivement pas laisser de trace pour ne pas affoler la population. Auschwitz-Birkenau, ou Auschwitz II, et Lubin-Maïdanek ont été, quant à eux, à la fois des camps de concentration et d’extermination, comportant des chambres à gaz et des crématoires. Ce sont donc, au total, six camps d’extermination servant la nouvelle politique de l’Allemagne nazie. Le nombre de morts irait selon une estimation de 2,1 ou 2,5 à plus de 4 millions de morts. Mais le nombre réel de mort nous reste néanmoins inconnu à ce jour. On parle alors de Shoah ou d’Holocauste pour le génocide Juifs et de Samudaripen pour le génocide Tziganes.

 Chateau d'Hartheim (Autriche), http://www.crdp-reims.fr/memoire/enseigner/memoire_reseaux/Images/hartheim_chateau_2008.jpg

S’ajoutaient au complexe des camps d’extermination, six centres d’euthanasie : Bernburg, Brandenburg, Grafeneck, Hadamar, et Sonnenstein situés dans l’actuel Allemagne et Harteim en Autriche. Ce terme d’« euthanasie », désignant généralement l’administration d’une mort sans douleur à un malade atteint de maladie chronique ou en phase terminale, subit un glissement sémantique significatif dans la politique nazie. Il y désigne en effet, « l’extermination systématique des handicapés physiques et mentaux dans des institutions, et ce, à l’insu des familles » selon le United State Holocauste Memorial Museum. Le programme d’euthanasie aurait été décidé au début du mois de juillet 1939. Selon ce même mémorial, Hitler signa en octobre 1939 une autorisation secrète afin de protéger « les médecins, le personnel médical et les administrateurs » participant au programme « contre d’éventuelles poursuites ». L’autorisation aurait été « antidatée au 1er septembre 1939 » de sorte que l’on pense que ce programme ait été en rapport avec l’effort de guerre. Ce fut dans le cadre de cette opération secrète appelée « T4 », en référence à l'adresse berlinoise du bureau de coordination du programme, que les six centres furent construits. Les victimes étaient généralement des enfants et des adultes atteints de problèmes mentaux, ou d’anomalies physiques et étaient sélectionnées par les médecins du T4, sur la base de dossiers médicaux ou de diagnostics établis par le personnel des institutions d’où elles provenaient. L’extermination se faisait alors par gazage ou par injection. On estima lors des débats du Tribunal militaire international de Nuremberg entre 1945 et 1946, que le nombre de morts dans ces centres avait atteint environ 275 000 personnes. Le système concentrationnaire nazi est donc un réseau de camps d’internement, de concentration, et d’extermination voué à l’élimination de populations ne correspondant pas aux critères du parti.

Ce système connut une fin en 1945 avec le fameux épisode des marches de la mort, au cours desquelles Himmeler, voyant les Alliés aux portes de l’entré du Reich, ordonna l’ordre d’évacuer les prisonniers afin que ces derniers ne fournissent pas de preuves des exterminations de masse et des différent crimes perpétrés par les nazis. L’invasion de la Grande Alliance par l’Est et l’Ouest de l’Allemagne nazie, l’obligea à capituler le 8 mai 1945. De nouvelles notions sont alors instaurées ou réinstaurés pour qualifier et punir les crimes nazis : nous parlons désormais de crime contre l’humanité quand il y a « violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d'un individu ou d'un groupe d'individus inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux », de crime de guerre pour les « Assassinats, mauvais traitements ou déportations pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, assassinats ou mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, exécutions des otages, pillages de biens publics ou privés, destructions sans motif des villes et des villages, ou dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ». Enfin, nous parlons aussi depuis 1944 de « génocides » pour tout extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée d'un groupe en raison de ses origines ethniques, ses tendances religieuses, ou sociales. Mais, bien que ces nouvelles notions ont été inventées, que des peines leur ont étées associées, ces crimes se perpétuent aujourd’hui dans d’autres pays, comme le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, et au Tibet, où, entre 1950 et 1976, plus d’un cinquième de la population a été exterminée par la Chine qui reste à ce jour impunie, bien que des résolutions ont été officiellement prises. Enfin, terminons sur cette citation de l'écrivain Herbert Marcuse qui résume les leçons à retenir de ces camps et les crimes qui leurs sont attachés « les camps de concentration, les génocides, les guerres mondiales et les bombes atomiques ne sont pas des rechutes dans la barbarie, mais les résultats effrénés des conquêtes modernes de la technique et de sa domination ».

B) La France des années noires

Entre 1940 et 1944, la France connaît une situation qui lui était inconnue jusqu'ici: elle subit l'occupation de son territoire et se voit dans l'obligation de collaborer avec l'Allemagne nazie, ce qui suscite la résistance de quelques métropolitains. La IIIème République arrive à son terme en 1940 avec la défaite française face aux allemands et la naissance du régime de Vichy. La Drôle de guerre, de l'expression de l'écrivain français Roland Dorgelès, se déroule de la déclaration de guerre du Royaume-Uni et de la France jusqu'à l'invasion de la Belgique, des Pays-Bas, du Luxembourg et de la France en 1940 par l'Allemagne nazie. Après une vaine offensive dans la Sarre en Septembre 1939 pendant que le Reich était occupé par l'invasion de la Pologne, l'état-major français envoie des troupes sur la ligne Maginot, un système de fortifications censé empêcher toute tentative d'invasion, en Alsace, optant ainsi pour une stratégie défensive. Erreur de leur part, hormis quelques escarmouches aucun combat n'a lieu en terre Alsacienne. L'invasion la Pologne achevée, l'Allemagne nazie redirige ses troupes vers l'Europe de l'Ouest en 1940 . Le commandant du 19ème corps de l'armée allemande, Heinz Guederian, seul militaire qui a osé discuter les décisions de Hitler, prend alors l'initative de contourner la ligne Maginot par les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, et commencer une Bliztkrieg, ou guerre éclair, contre la France en arrivant par le Nord-Est. Il lance de cette manière un coup de faux contre l’État français, sensiblement semblable à celui de la Première Guerre mondiale. L'armée française est alors mise en déroute et bon nombre de civils tentent alors de fuir les combats et se retrouvent sur les routes: c'est le grand exode. Un débat commence au sein du gouvernement français: faut-il continuer ou arrêter les hostilités ? Le président du Conseil, Paul Reynaud, était de ceux pensant qu'il fallait continuer. Se voyant en minorité et isolé dans son propre gouvernement, il se résout à démissionner le 16 juin de la même année, laissant sa place au vice-président le maréchal Pétain. Ce dernier, en accord avec la majorité du gouvernement, prononce le lendemain le Discours aux Français dans lequel il appelle le peuple français à arrêter les combats et annonce la demande d'armistice aux noms des « malheureux réfugiés qui, dans un dénuement extrême, sillonnent [les] routes [de France] », en faisant allusion à l'exode des civils Français provoqué par la débâcle. Il trahit ainsi la promesse qu'avait faite la France au Royaume-Uni de ne jamais déposer les armes sans l'accord de l’État britannique. Le 22 juin, l'armistice est signée à Rethondes avec l'Allemagne. Le 10 juillet 1940, le maréchal réunit à Vichy, le nouveau siège du pouvoir, le Parlement qui lui octroie les pleins pouvoirs. La Troisième République s'est donc elle-même sabordée. Pétain engage, avec le soutien de la droite nationaliste, une Révolution Nationale qui devait redresser la France autour de la triptyque Travail, Famille, Patrie. S'installe alors une véritable dictature. Pétain suspend le Parlement et met en place un régime d'ordre moral dans lequel l’Église joue un rôle considérable. En outre, l'opposition est muselée, les principaux dirigeants de la République, dont Léon Blum, sont arrêtés et les communistes pourchassés. L'idéologie vichyste est à la fois conservatrice et exclusive. La jeunesse est conditionnée, la charte du travail signée en 1941 prohibe la grève et les syndicats, et les paysans sont enrôlés dans la corporation paysanne. Enfin, dès le mois d'octobre 1940, une législation antisémite exclut les Juifs et des mesures xénophobes stigmatisent les étrangers.

La défaite de 1940 plonge la France dans la pauvreté la plus extrême. L'économie est complètement ébranlée par la division de la France en deux zones. De plus, la production est réservée à l'effort de guerre allemand. De même, toute importation est rendue impossible par le blocus qu'a instauré le Royaume-Uni autour des côtes françaises. Les pénuries se font alors de plus en plus importantes. Les Français usent donc du système D, que décrit Jean Ducourd dans son ouvrage Au bon beurre. L'on cherche à contourner les mesures de rationnement et restriction du gouvernement vichyste, notamment par le biais du marché noir et du tourisme à la ferme, c'est-à-dire des voyage en campagne en vue d'acheter des denrées, revendues très chères en ville. La situation s'aggrave en novembre 1942 quand les Allemands occupent la totalité du pays. Pendant ce temps, près de 2 millions de prisonniers sont enfermés dans les stalags allemands et contraints à des travaux forcés dans les usines, dont celles d'armement. La venue du régime de Vichy plonge donc la France dans ce que nous appelons couramment les années noires. Le régime de Vichy constitue non seulement une dictature obligeant la France à vivre dans la pauvreté mais aussi un régime collaborationniste. Cette collaboration se fait progressivement: elle commence tout d'abord par une collaboration d’État, jusqu'à ce que la France ne devienne un pays-satellite du Reich dans lequel le collaborationnisme fait partie intégrante de la politique. L'armistice impose de lourdes conditions à la France. La moitié nord du pays est occupée par le Reich, et le pays doit lui verser un tribut journalier de 500 millions de francs or. Mais Pétain va plus loin que ce que demandait l'Allemagne nazie en s'engageant, avec son chef de gouvernement Pierre Laval, dans la collaboration. Cette nouvelle politique commence avec la rencontre d'Hitler et Pétain à Montoire en octobre 1940. Cette collaboration est à la fois politique, économique et militaire. Les manifestants antifascistes en exil sont livrés à l'occupant puis déportés. Des entreprises, au nom de cette même collaboration, vont aider l'Allemagne nazie dans l'effort de guerre, parmi elles Renault. De même, des travailleurs français vont être envoyés en terres nazie au nom du Service du Travail Obligatoire, ou STO. Bon nombre d'entre-eux fuient le STO et s'engagent dans la résistance. Enfin, des militaires français vont participer à la construction du mur de l'Atlantique, destiné à empêcher d'éventuels débarquements alliés. Mais, la collaboration prend un tour dramatique avec l'engagement de Vichy dans la traques des membres des "races inférieures", usant notamment de la délation. Parmi les victimes nous retrouvons les enfants, une initiative purement françaises car jusque là ils n'avaient jamais été emprisonnés par les nazis, et les Juifs qui, dès 1941, sont livrés à l’Allemagne. A partir de 1942, ce régime se durcit, notamment avec la rafle du Vel d'Hiv, qui engage la France de Vichy dans la mise en œuvre de la Solution Finale. A partir de 1942, la France devient un État-satellite de l'Allemagne nazie. Ce changement politique fait le jeu des collaborationnistes français fascinés par l'idéologie nazie. Ces derniers arrivent au gouvernement en 1944 et instaurent un État milicien. La milice se manifeste au cours de l'hiver 1944 par la répression des maquis et, durant le printemps et l'été de la même année, par l'assassinat de personnalités politiques austères au régime de Vichy et au fascisme avec l'aide de la gestapo, la police secrète nazie. Ce fut le cas de l'ancien ministre du Front populaire Jean Zay et de l'ex-ministre de l'Intérieur Georges Mandel, assassinés en juillet 1944 dans la forêt de Fontainebleau, en Seine-et-Marne. De telles opérations ont néanmoins nécessité l'aide de certains français, que l'ont a alors appelés collaborateurs ou collabos. En effet, la délation étant devenue valeur nationale, certains profitaient de l'occasion pour régler des querelles de voisinage. Mais l'on distingue surtout des collaborations aux motifs économiques ou culturels. Bon nombre de chefs d'entreprises ont collaboré avec les nazis. Doivent être malgré tout être discernées la collaboration forcée de la collaboration volontaire étant donné que certains faisaient du profit dans cette activité. Quant aux motifs culturels, des conférences, des cours d'allemand, des expositions financées par le Reich avaient réussi à sensibiliser certains français. Ainsi, l’État vichyste et des français ont collaboré avec l'Allemagne nazie et l'ont aidée dans l'effort de guerre. Mais le nombre de collaborateurs restaient en minorité comparé au nombre de Français ne cherchant qu'à survivre. Une autre minorité affrontait les collabos et le régime de Vichy et regroupait tous ceux refusant le fascisme ainsi que la collaboration au point de mener des actions de résistance.

Les motifs de résistance étaient nombreux et divers. Parmi les français et étrangers résistants, hommes ou femmes, se trouvaient entre autres des opposants politiques, des victimes des mesures racistes, et des réfractaires du STO. La Résistance Intérieure n'est néanmoins pas encore organisée au début de l'occupation et les actions menées se font dans la clandestinité la plus totale et le plus souvent de manière individuelle. Protection d'individus pourchassés par les miliciens, sabotage, assassinat d'un soldat vichyste ou nazi, aide au passage des frontières, toutes les actions possibles étaient autorisées à partir du moment où elle permettaient de faire reculer le fascisme et aider à la libération de la France. Les représailles du gouvernement contre ces résistants étaient lourdes. On leur faisait passer des interrogatoires interminables, on les torturait. Une fois le délit avoué, ils étaient exécutés, par décapitation ou fusillade, ou alors déportés selon leur force physique. Nous pouvons citer l'exemple du convoi des 45 000, un des rares convois de résistants partis pour Auschwitz le 6 juillet 1942 de Compiègne. Quand ceux-ci ne voulaient pas se dénoncer, l'on prenait des otages qui étaient exécutés si aucun coupable ne venait. Autres méthodes, la délation et l'enrôlement d'un membre d'un mouvement de résistance qui devait alors faire tomber le réseau dans les filets des nazis. Une dictature et une résistance intérieure, encore désorganisée, sont donc nées suite à l'auto-sabordage de la IIIème République.

C) L'Appel du 18 Juin 1940 et son impact jusqu'en 1945

En 1939, l'Allemagne nazie envahit la Pologne, provoquant ainsi l'engagement de la France et du Royaume-Uni le 3 septembre. Commença alors une guerre mondiale entre forces alliées et forces de l'Axe. L'armée française étant mise à mal en 1940 par la Wehrmacht, l'armée allemande, la République Française choisit de se saborder en laissant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, le « vainqueur de Verdun ». Celui-ci annonce, le 17 juin 1940, son projet de signer une armistice avec l'ennemi. En réponse à cela, De Gaulle, partisan de la poursuite de la guerre, lance sur les ondes de la BBC un appel à la résistance française le 18 juin 1940. Nous nous interrogerons ici sur l'impact de cet appel jusqu'en 1945. Nous verrons donc, dans un premier temps, en quoi consistait plus précisément l'appel, son contexte, sa diffusion immédiate et ses répercussions. Puis, nous déterminerons comment cet appel a pu entrainer l'organisation de la Résistance et aboutir à la naissance d'un héros.

Qu'est-ce que « Le 18 Juin », en reprenant l'expression de Jean Louis Crémieux Brilhac? Pour le savoir, il nous faut dans un premier temps étudier le contexte de cet appel, son contenu, puis ses répercussions immédiates. En 1940, l'armée française est mise en déroute par la Wehrmacht, l'armée allemande. Commence alors un véritable débat au sein du gouvernement français: faut-il arrêter ou continuer le combat ? Le président du Conseil, Paul Reynaud, était de ceux favorables à la poursuite des combats. Se voyant en minorité et isolé dans son propre gouvernement, il se résout à démissionner le 16 juin de la même année, laissant sa place au vice-président le maréchal Pétain. Ce dernier, en accord avec la majorité du gouvernement, prononce le lendemain le Discours aux Français dans lequel il appelle le peuple français à arrêter les combats et annonce la demande d'armistice aux noms des « malheureux réfugiés qui, dans un dénuement extrême, sillonnent [les] routes [de France] », en faisant allusion à l'exode des civils Français provoqué par la débâcle. Il trahit ainsi la promesse qu'avait faite la France au Royaume-Uni de ne jamais déposer les armes sans l'accord de l’État britannique. La veille, le sous-secrétaire à la défense nationale et à la guerre du gouvernement Reynaud, le général De Gaulle, s'était envolé pour Londres en sachant pertinemment les projet du nouveau gouvernement. Fervent partisan de la poursuite des hostilités et grand patriote, il lance sur les ondes de la BBC le 18 juin 1940, avec l'aide du Premier Ministre Britannique dont il était très apprécié, un appel à la résistance et à la reprise des combats.

Invasion de la France (1940), http://www.alliance-francophone.net/fileadmin/images/39-45/Articles_historiques/article_LA_Blitzkrieg/1190_map2_Ouest.jpg

L'appel de De Gaulle est fait en réponse au Discours aux Français. Il est donc en totale opposition avec les arguments avancés par le maréchal Pétain. En effet, les causes de la défaite française ne sont pas les mêmes dans les deux discours: pour le maréchal, c'est la supériorité en armes et en nombre de l'Allemagne qui lui a permis de remporté la guerre. A contrario, pour le général, « infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands » qui leur ont permis de gagner ce qu'il considère plutôt comme une bataille. Il discrédite ainsi la tactique française, basée seulement sur la défense et non sur l'offensive, un problème qu'il avait tenté vainement de régler dans les années 1930. Aussi souhaite-t-il se différencier du maréchal en précisant que contrairement à lui, il « parle en connaissance de cause ». Il incite, de la même manière, la France à continuer la guerre en rappelant que celle-ci est « une guerre mondiale », et en énumérant les nombreuses aides dont peut bénéficier le pays, notamment la puissance maritime de « l'Empire britannique », les colonies et « l'immense industrie des États-Unis » ainsi que la « force mécanique » qui avait permis à l'Allemagne de ressortir vainqueur de la bataille. Le général proclame de ce fait dans son appel qu'il invite tous les « officiers et les soldats » ainsi que tous les « ingénieurs et ouvriers spécialistes des industries d'armement » à « se mettre en rapport avec [lui]». Il présente alors un avenir qui se veut beaucoup plus sûr pour la France d'une part grâce à la phrase « la flamme de la résistance ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas » et en précisant que le lendemain, il parlerait à la Radio de Londres, montrant ainsi que des actions sont déjà en cours. L'avenir avec le maréchal Pétain peut paraître effectivement beaucoup moins rassurant, celui-ci ne reposant que sur « la foi [des Français] dans le destin de la patrie ».


Texte de l'appel du 18 juin 1940 de De Gaulle

 Charles De Gaulle à la BBC, http://www.charles-de-gaulle.org/pages/l-homme/dossiers-thematiques/1940-1944-la-seconde-guerre-mondiale/l-appel-du-18-juin.php

Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement.

Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s'est mis en rapport avec l'ennemi pour cesser le combat.

Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne, de l'ennemi.

Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd'hui.

Mais le dernier mot est-il dit ? L'espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non

Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n'est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.

Car la France n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l'Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l'Angleterre, utiliser sans limites l'immense industrie des Etats-Unis.

Cette guerre n'est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n'empêchent pas qu'il y a, dans l'univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.

Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j'invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec moi.

Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.

Demain, comme aujourd'hui, je parlerai à la Radio de Londres.


Discours aux Français du maréchal Pétain radiodiffusé le 17 Juin 1940

Le maréchal Pétain

Français !

A l'appel de Monsieur le Président de la République, j'assume à partir d'aujourd'hui la direction du gouvernement de la France. Sûr de l'affection de notre admirable armée qui lutte, avec un héroïsme digne de ses longues traditions militaires, contre un ennemi supérieur en nombre et en armes. Sûr que par sa magnifique résistance, elle a rempli nos devoirs vis-à-vis de nos alliés. Sûr de l'appui des Anciens Combattants que j'ai eu la fierté de commander, sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur.

En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude. Cest le coeur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat. Je me suis adressé cette nuit à l'adversaire pour lui demander s'il est prêt a rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l'Honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. Que tous les Français se groupent autour du Gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n'écouter que leur foi dans le destin de la Patrie.


Le lendemain, une version traduite par Elizabeth Barker, assistante de la BBC, est publiée aux États-Unis et en Grande-Bretagne dans Los Angeles Times et The Times. Le but était dans un premier temps de rallier les Français situés à l'étranger, et dans un second temps, de montrer au monde que la France n'abandonnait pas le combat. En France non-occupée, en revanche, ce sont les journalistes ayant écouté l'appel qui le diffusent dans les journaux. L'article paraît alors sous des titres tel que « Une allocution du général De Gaulle » en première ou seconde page. Parmi les journaux reprenant l'appel, nous pouvons retrouver Le Petit Marseillais, Le Progrès de Lyon, ou encore Marseille-Matin. Mais bien que l’État ne soit pas encore trop autoritaire par rapport à la presse, les journalistes font preuve d'auto-censure. Le général est en effet pour ainsi dire inconnu des Français et ose faire ce que Le Petit Marseillais a qualifié d'un « appel à la guerre à outrance ». Du fait de cette auto-censure, mais aussi de la qualité des prises de notes des journalistes, certaines modifications ont été apportées. Ainsi, la partie faisant la critique de la tactique militaire française et mettant en cause la responsabilité du gouvernement français a été tronquée comme dans Le Petit Marseillais ou entièrement dénaturée comme dans Le Petit Dauphinois où il est dit, non pas « Infiniment plus que leur nombre/ce sont les chars, les avions, la tactique des allemands qui ont surpris nos chefs », mais « Ce n'est pas la tactique allemande qui a surpris nos chefs, mais le nombre de chars et d'avions qui nous ont fait reculer ». Malgré ces changements, l'idée principale est restée la même: selon De Gaulle, la France doit continuer la guerre. S'en suivit dès lors un ordre de regagner le sol français destiné au général. Mais ce dernier ne démord pas et prononce un discours le 22 juin 1940 en reprenant et approfondissant l'analyse développée dans l'appel du 18 juin en réponse à l'armistice signée le même jour. Les peines envers De Gaulle alors s'alourdissent et vont de la simple annulation de sa nomination au rang de général de brigade à la condamnation à mort par contumace. Le 3 août 1940, il fait diffuser au Royaume-Uni la célèbre affiche A tous les Français, reprenant là aussi les idées de l'appel. L'ennemi lance alors une campagne de calomnies à l'encontre du général se servant de l'image du général faisant son appel le 18 juin 1940 afin de lutter contre l'adhésion du peuple français aux idées de celui-ci. De Gaulle est ainsi accusé d'être un agent des anglais, traître à sa patrie, à la botte des juifs et des communistes.

Ainsi, nous pouvons dire que l'appel du 18 juin était l'appel d'un homme pour sa nation. Nous le savons aujourd'hui, cet appel a permis l'organisation de la Résistance Française. Afin de comprendre comment ce phénomène a pu se faire, nous verrons dans un premier temps comment l'appel a-t-il permis la création de la France Libre, dans un second temps en quoi l'appel du 18 juin a pu être à l'origine de l'organisation de la Résistance Intérieure et enfin comment ces deux composantes de la Résistance Française ont fini par s'unir pour fonder la France Combattante.

Plus que la presse écrite ou la radio, c'est le « bouche-à-oreille » qui a réellement permis la diffusion de l'appel du 18 juin. Ainsi peu de Français ont entendu l'appel et encore moins connaissaient le visage du général. Pourtant en quelques jours, ce sont des centaines d'hommes et de femmes, pour la plupart déjà sur le sol britannique, qui viennent soutenir le général et bien que ce ne soit pas assez pour créer une troupe, De Gaulle demande le soutien financier et l'accord pour constituer une Légion française au Premier Ministre Britannique. Le 28 juin, le général est reconnu comme le « chef de tous les français libres où qu'ils se trouvent, qui se rallient à lui pour défendre la cause alliée ». Dans les derniers jours de juin et les premiers de juillet arrivent les français ayant décidé de rejoindre le Royaume-Uni pour continuer la guerre. Fin juillet, la légion compte environ 7000 membres, ses unités terrestres sont mal équipées, elle dispose de quelques navires de tous types nécessitant des réparations et son aviation dépend entièrement des appareils que le Royaume-Uni accepte de lui procurer, c'est donc une armée en devenir. Le 7 août 1940, De Gaulle signe avec le Royaume-Uni un accord reconnaissant l'autorité de la France Libre et en en définissant les règles, la France est désormais un État en exil qui doit récupérer son territoire. Le 26, 27, et 28 août 1940, ce sont les « Trente Glorieuses de l'Empire » avec le ralliement du Tchad, Du Cameroun, du Congo et de l'Oubangui-Chari. La bataille de Dakar est menée en septembre. Le but est de rallier les colonies de l'Afrique Occidentale Française. Malgré l'échec, le général De Gaulle dispose désormais de territoires et de populations ne dépendant pas de la Grande-Bretagne et réussit le 27 octobre 1940 à installer à Brazzaville le Conseil de Défense de l'Empire, composé des gouverneurs des territoires et des principaux responsables civils et militaires ralliés. La légitimité de la France Libre ne repose donc plus seulement sur l'appel du 18 juin mais sur une institution officielle, ce qui permet au général et aux divers représentants de prétendre parler au nom de la France continuant la guerre. C'est à Brazzaville que sont déposées le 27 octobre les bases juridiques de la France Libre ainsi que, le 16 novembre, la déclaration donnant pour illégale l'attribution le 10 juillet 1940 des pleins pouvoirs au maréchal Pétain.

Le 9 novembre, le Gabon est conquis par la France Libre et rejoint la cause des alliés. Fin novembre, De Gaulle dispose de 35 000 hommes sous les armes et le 9 décembre, les premières troupes des Forces Françaises Libres, ou FFL, composent le 1er BIM et entrent en ligne à Sidi Barrani en Libye. Ainsi, c'est donc grâce à l'appel qu'au cours de l'année 1940, la France Libre nait et se développe. C'est aussi cette même année que l'autorité de De Gaulle est reconnue par le Royaume-Uni et le reste du Monde. Mais il lui manque encore la reconnaissance du peuple français pour que cette autorité soit réellement légitime.

L'avancée de la France Libre, fabrication personnelle

Face à une invasion imminente de l'Angleterre par la Wehrmacht contrôlant désormais les côtes françaises de la Manche et de l'Atlantique, les responsables de l'Intelligence prennent contact avec le général De Gaulle et André Dewavrin, plutôt connu sous le pseudonyme de Passy, nommé chef du second et du troisième bureau de l'état-major de la France Libre. Ils sont alors chargés d'envoyer des Français libres en France afin d'obtenir des renseignements sur les dispositifs et les plans allemands. En juillet 1940, Hubert Moreau et Jacques Mansion sont les premiers à être envoyés en mission. Ce dernier réussi à se procurer les plans d'un dispositif allemand situé en Bretagne. Le 3 août, Alexandre Beresnikof, alias Corvisart , et Maurice Duclos, alias Saint-Jacques, sont envoyés en Normandie. Le second pose alors les bases du réseau Saint-Jacques. En novembre 1940, Gilbert Renault, plus connu sous le nom de Rémy, crée le plus important réseau opérant en France: la Confrérie Notre-Dame ou CND. En septembre de la même année, Pierre Fourcaud fonde en zone non-occupée le réseau Brutus. Enfin, c'est au tour d'Honoré d'Estienne d'Orves de créer un réseau de renseignement en Bretagne en décembre 1940, qui reste opérationnel jusqu'en 1941.

En septembre 1940 commence l'émission Les Français parlent aux Français diffusée sur les ondes de la BBC. Cette émission de radio, qui n'est pas la seule, et ses réseaux permettent alors les premiers contacts entre la Résistance Intérieure, qui se méfie encore du général De Gaulle et de ses objectifs, et la France Libre. La plupart n'ont, en effet, aucun moyen ni aucune expérience militaire et ont dû improviser pour mener leur combat clandestin. Arrive en octobre 1941 à Londres, Jean Moulin. Torturé, puis révoqué par le gouvernement de Vichy pour désobéissance à l'autorité, l'ancien préfet avait décidé de se rallier à De Gaulle et réussit à le rencontrer assez rapidement. Il lui expose alors l'importance des mouvement de Résistance en zone sud et l'avantage qu'ils peuvent représenter s'ils s'allient à lui. De Gaulle avait cette fois l'occasion de devenir aux yeux des puissances alliés plus qu'un simple général prétendant parler au nom de la France en unissant la Résistance Intérieure à sa cause. Moulin a donc pu obtenir les pleins pouvoirs pour fonder le Conseil de la Résistance afin d'unifier tous les mouvements de résistance et est envoyé le 20 mars 1943 en France en ce but. Pendant ce temps, les avancée militaires continuent entre 1941 et 1943. Le 24 décembre 1941 Saint-Pierre-et-Miquelon se rallie à la France Libre. Le 28 avril 1942 est proclamée la Déclaration aux mouvements. De Gaulle y clarifie ses objectifs et son désir de créer une nouvelle république, qui conférerait la citoyenneté aux femmes, continuerait à garantir les droits de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, qui serait plus sociale. Cette déclaration publiée dans les journaux clandestins comme le Franc-Tireur ou Libération, permet alors un pacte d'unification entre la Résistance Intérieure et La France Libre et à De Gaulle de l'emporter sur le général Giraud, second dirigeant de la France Libre soutenu par les États-Unis.


Texte de la Déclaration aux Mouvements de De Gaulle ( 28 Avril 1942)

Général De Gaulle

Les derniers voiles, sous lesquels l’ennemi et la trahison opéraient contre la France, sont désormais déchirés. L’enjeu de cette guerre est clair pour tous les Français : c’est l’indépendance ou l’esclavage. Chacun a le devoir sacré de faire tout pour contribuer à libérer la patrie par l’écrasement de l’envahisseur. Il n’y a d’issue et d’avenir que par la victoire.

Mais cette épreuve gigantesque a révélé à la nation que le danger qui menace son existence n’est pas venu seulement du dehors et qu’une victoire qui n’entraînerait pas un courageux et profond renouvellement intérieur ne serait pas la victoire.

Un régime, moral, social, politique, économique, a abdiqué dans la défaite, après s’être lui-même paralysé dans la licence. Un autre, sorti d’une criminelle capitulation, s’exalte en pouvoir personnel. Le peuple français les condamne tous les deux. Tandis qu’il s’unit pour la victoire, il s’assemble pour une révolution.

Malgré les chaînes et le bâillon qui tiennent la nation en servitude, mille témoignages, venus du plus profond d’elle-même, font apercevoir son désir et entendre son espérance. Nous les proclamons en son nom. Nous affirmons les buts de guerre du peuple français.

Nous voulons que tout ce qui appartient à la nation française revienne en sa possession. Le terme de la guerre est, pour nous, à la fois la restauration de la complète intégrité du territoire, de l’Empire, du patrimoine français et celle de la souveraineté complète de la nation sur elle-même. Toute usurpation, qu’elle vienne du dedans ou qu’elle vienne du dehors, doit être détruite et balayée. De même que nous prétendons rendre la France seule et unique maîtresse chez elle, ainsi ferons-nous en sorte que le peuple français soit seul et unique maître chez lui. En même temps que les Français seront libérés de l’oppression ennemie, toutes leurs libertés intérieures devront leur être rendues. Une fois l’ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l’Assemblée Nationale qui décidera souverainement des destinées du pays.

Nous voulons que tout ce qui a porté et tout ce qui porte atteinte aux droits, aux intérêts, à l’honneur de la nation française soit châtié et aboli. Cela signifie, d’abord, que les chefs ennemis qui abusent des droits de la guerre au détriment des personnes et des propriétés françaises, aussi bien que les traîtres qui coopèrent avec eux, devront être punis. Cela signifie, ensuite, que le système totalitaire qui a soulevé, armé, poussé nos ennemis contre nous, aussi bien que le système de coalition des intérêts particuliers qui a, chez nous, joué contre l’intérêt national, devront être simultanément et à tout jamais renversés.

Nous voulons que les Français puissent vivre dans la sécurité. A l’extérieur, il faudra que soient obtenues, contre l’envahisseur séculaire, les garanties matérielles qui le rendront incapable d’agression et d’oppression. A l’intérieur, il faudra que soient réalisées, contre la tyrannie du perpétuel abus, les garanties pratiques qui assureront à chacun la liberté et la dignité dans son travail et dans son existence. La sécurité nationale et la sécurité sociale sont, pour nous, des buts impératifs et conjugués.

Nous voulons que l’organisation mécanique des masses humaines, que l’ennemi a réalisée au mépris de toute religion, de toute morale, de toute charité, sous prétexte d’être assez fort pour pouvoir opprimer les autres, soit définitivement abolie. Et nous voulons en même temps que, dans un puissant renouveau des ressources de la nation et de l’Empire par une technique dirigée, l’idéal séculaire français de liberté, d’égalité, de fraternité soit désormais mis en pratique chez nous, de telle sorte que chacun soit libre de sa pensée, de ses croyances, de ses actions, que chacun ait, au départ de son activité sociale, des chances égales à celles de tous les autres, que chacun soit respecté par tous et aidé s’il en a besoin.

Nous voulons que cette guerre, qui affecte au même titre le destin de tous les peuples et qui unit les démocraties dans un seul et même effort, ait pour conséquence une organisation du monde établissant, d’une manière durable, la solidarité et l’aide mutuelle des nations dans tous les domaines. Et nous entendons que la France occupe, dans ce système international, la place éminente qui lui est assignée par sa valeur et par son génie.

La France et le monde luttent et souffrent pour la liberté, la justice, le droit des gens à disposer d’eux-mêmes. Il faut que le droit des gens à disposer d’eux-mêmes, la justice et la liberté gagnent cette guerre, en fait comme en droit, au profit de chaque homme, comme au profit de chaque État.

Une telle victoire française et humaine est la seule qui puisse compenser les épreuves sans exemple que traverse notre patrie, la seule qui puisse lui ouvrir de nouveau la route de la grandeur. Une telle victoire vaut tous les efforts et tous les sacrifices.

Nous vaincrons !


Le 13 juillet, le Comité National Français présidé par De Gaulle depuis 1941, année de sa création, décide de renommer la France Libre France Combattante, une France unifiant tous les Français combattant l'Allemagne nazie et le régime de Vichy. Mais, bien que l'unification soit officielle, il faut encore coordonner les mouvements de résistance français entre eux. Pour cela est créé le 2 octobre 1942 le Comité de Coordination des mouvements de résistances de la zone sud. Le 23 octobre, les FFL sont engagés dans la bataille d'El Alamein en Égypte. C'est une victoire, les allemands qui menaçaient d'envahir l'empire britannique sont repoussés d'Égypte au début du mois de novembre. Le 8, c'est le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord. La France Combattante a donc contribué à une grande victoire contre l'ennemi. En 1943, Fernand Grenier est envoyé par le comité central du PCF pour annoncer l'adhésion du parti communiste à la France Combattante. L'unification de la Résistance continue donc encore après la Déclaration aux mouvements. Le 1er Février est créée la première Division Française Libre, ou 1ère DFL, sous le commandement du général Laminat. Le 13 mai, les troupes germano-italiennes capitulent en Tunisie. C'est un grand pas vers la victoire. Le 15 mai 1943, le CNR est enfin créé, l'unification de la Résistance est désormais concrète. L'ennemi étant chassé d'Afrique, il faut désormais libérer la France. Ainsi, le Comité National Français , CNF, devient le Comité Français pour la Libération Nationale, ou CFLN, sous la présidence de De Gaulle et de Giraud. Reconnu par les puissances alliées le 26 août 1943, De Gaulle finit très vite par en être le seul président le 9 novembre. Le 1er février 1944, le CFLN créé les Forces Française de l'Intérieur, ou FFI, dont le général Koenig devient le commandant le 23 mars. La France Combattante est désormais présente à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Le 3 juin est décidé qu'il faudrait créer un gouvernement provisoire capable d'installer la Cinquième République décrite dans la Déclaration aux mouvements. Le CFLN devient alors le GPRF, Gouvernement Provisoire de la République Française. Le 6 juin, les alliés débarquent en Normandie. Le 1er août, la Haute-Savoie se libère. De Gaulle dira par la suite que «c'est grâce aux Glières que [il a] pu ensuite obtenir des parachutages importants pour la Résistance». Le 15, c'est le débarquement en Provence et le 25, la libération de Paris donne lieu à un défilé triomphal des alliés. La France Combattante récupère son pays et n'est plus un simple État en exil. Le 12 février 1945, les États-Unis, le Royaume-Uni et l'URSS autorisent la France à disposer d'une zone d'occupation en Allemagne. Le 8 mai, l'Allemagne nazie capitule, suivie le 2 septembre par le Japon. La France est ensuite reconnue comme une des cinq grandes puissances de l'Organisation des Nations Unies. Ainsi, l'unification de la Résistance était une initiative de la France Libre. Nous pouvons donc dire qu'étant le texte fondateur de la France Libre, l'appel du 18 juin est bel et bien à l'origine de l'unification et de l'organisation de la Résistance Française.

Libération de Paris, http://3.bp.blogspot.com/_Ya4FfEypJ40/SY8dCZ6Ui3I/AAAAAAAAAmw/wLm3QpOcYgQ/s320/D%C3%A9fil%C3%A9+sur+les+Champs-%C3%89lys%C3%A9es+le+26+ao%C3%BBt+1944+apr%C3%A9s+la+lib%C3%A9ration+de+Paris.jpg

De Gaulle, grâce à son appel, a réussi à unifier la majorité des Français pour faire face à l'ennemi au coté des puissances alliées et à libérer la France. Ne peut-on donc pas dire pour cela que l'appel a permis la naissance d'un héros ? Afin de répondre à cette question, nous aborderons dans un premier temps la question de la mémoire de l'appel jusqu'en 1944, puis nous verrons dans un second temps en quoi la Libération de la France et la capitulation des forces de l'axe peuvent être considérée comme sa concrétisation et en quoi cela a contribué à faire de De Gaulle un héros. Enfin, nous déterminerons de quelle manière a évolué le gaullisme jusqu'en 1945.

Dès les débuts de la France Libre le 18 juin a été considéré comme une date singulière. C'était en effet la date anniversaire de l'appel à la Résistance du général De Gaulle, l'anniversaire de la Fondation de la France continuant le combat. Chaque 18 juin était alors l'occasion pour De Gaulle de rappeler que c'était lui qui, grâce à l'appel, a engagé le mouvement de la France Libre, puis Combattante, et c'était là sa seule source de légitimité en tant que « chef des Français Libres ». C'était aussi l'opportunité pour lui de faire un bilan sur l'évolution de la guerre et de la Résistance, ainsi que de redonner du courage aux troupes, ce qui laissait donc place à un discours du chef de la Résistance. Ainsi, le 18 juin 1941, le général fit un discours au Comité National Français en Égypte, diffusé par la radio de Londres. Il y fait alors le bilan de la première année de la France Libre et démontre qu'elle a su « ranim[er] l'esprit de résistance de la France et rassembl[er] les espoirs d'une immense majorité nationale ». Il y rappelle aussi la volonté de Vichy de faire combattre «des soldats de l'Empire en combinaison avec des escadrilles allemandes» et dénonce la responsabilité de l'Allemagne en disant qu' « une pareille machination porte la signature d'Hitler ». Le général affirme alors que « rien[...] ne peut affermir davantage les Français dans leur volonté d'arracher leur pays à [la] domination [allemande] » et que « jusqu'à la mort ou jusqu'à la victoire, [ils] rester[ont] liés dans cette guerre de libération à l'admirable Empire britannique» et, de ce fait, encourage vivement les Français libres à continuer de se battre. Le 18 juin 1942, à l'occasion du second anniversaire de la France Libre, De Gaulle prononce un discours à l'Albert Hall, à Londres. Dans ce discours, « l'homme du 18 juin », comme il est souvent appelé, réitère les objectifs de la France Libre, les raisons pour lesquelles elle a été créée, l'importance et la fidélité de l'Empire colonial français, et enfin, il rappelle qu' « il faudra […] que les peuples qui furent unis dans l'effort sanglant le demeurent dans l'effort bienfaisant » « pour reconstruire le monde ». L'après-guerre fait donc déjà partie des projets de De Gaulle. Le 18 juin 1943, le général prononce un discours à Alger. Il déclare alors que la France est désormais « une France rassemblée, consciente de ce qu'elle devra aux autres » et « qui sera […] à sa place, parmi les vainqueurs ». Les colonies sont effectivement pratiquement toutes libérées de l'emprise vichyste et la Résistance Intérieure, organisée et ralliée à De Gaulle. Le 18 juin 1944, c'est devant l'Assemblée consultative du GPRF qu'il prononce la rhétorique suivante: « Si les obstacles qui […] barraient la route [à la France], le 18 juin 1940, ne l'ont pas empêchée de se remettre en marche, comment ceux qu'il lui reste à franchir pourraient maintenant l'arrêter ? ». Il rappelle ainsi les difficultés qui se présentaient en 1940, l'importance de son appel et sa toute confiance en la force de la France. Le 11 mai 1944, la France est entièrement libérée et l'année suivante, les forces de l'Axe capitulent. C'est une concrétisation de l'Appel du 18 Juin. En effet, la « flamme de la Résistance » ne s'est pas éteinte et l'ennemi a perdu la « guerre mondiale ». De Gaulle est alors un héros aux yeux des Français. Il est désormais « l'homme du 18 juin », le libérateur de la France et son nouveau dirigeant élu démocratiquement. Il est celui qui, en grand visionnaire, a pu prévoir et concrétiser la victoire face à l'Allemagne nazie et les forces de l'Axe. Ainsi paraît le 12 mai 1945, un numéro spécial de La Marseillaise intitulé « L'hebdomadaire des volontaires de juin 40 », rendant hommage à tous les héros des combats qui ont permis à la France d'être présente le jour de la victoire au coté des vainqueurs, et en premier lieu à Charles De Gaulle. Est publié aussi la même année « La Grande Cigogne nationale », dans La Bête est morte, de Calvo. Dans cet album, le dessinateur raconte la Seconde Guerre Mondiale et la Libération de la France en donnant des trait d'animaux aux grands personnages de cette période. L'Allemagne nazi est alors représentée par la bête et De Gaulle par une cigogne, symbole de l'Alsace Lorraine à laquelle il était beaucoup attaché, mais aussi, lorsque l'oiseau est représenté sur un champs, du bon citoyen.

 « La Grande Cigogne  nationale »,  dans La Bête est morte, de Calvo, http://michel.mahler.free.fr/DossierBD/Dessins/Calvo_cigogne.jpg

Le gaullisme est né, selon l'expression de l'historien Serge Berstein, d'un « réflexe patriotique et apolitique ». Il ne se manifeste que par un simple soutien à De Gaulle, ses actes et les idées développées dans l'appel du 18 juin 1940. C'est ce gaullisme là qui a su animer les Français libres. Mais, le 21 octobre 1945, le gaullisme vient contredire son apolitisme. Des élections sont en effet organisées, suite à un référendum, pour créer une Assemblée Constituante à l'origine de la nouvelle République et de sa constitution. Sont alors élus trois partis: le Parti Communiste et le Parti Socialiste qui, à eux deux, représentent la majorité absolue des sièges, et le Mouvement Républicains Populaire , ou MRP. Enfin, à sa présidence est élu à l'unanimité le 13 novembre 1945 le Général De Gaulle, dont les vues constitutionnelles s'avèrent très vite incompatibles avec les projets de l'Assemblée. Par la suite, un article du Figaro à propos du débat sur l'avenir du gaullisme entre Maurice Hervé, secrétaire de l'Académie française, et Hervé Gaymard, député de Savoie, paru en 1998 définira le gaullisme selon trois critères: « le goût inlassable du rassemblement populaire, l'énergie de la rébellion, et l'amour d'une France douée d'une personnalité universelle ». Nous pouvons donc dire que l'appel du 18 juin 1940 a permis l'unification de la Résistance, la Libération de la France, la victoire face aux forces de l'Axe et la naissance d'un héros.

En 1955 émerge ce que l'on appelle la mémoire gaullienne, une mémoire officielle exaltant le mythe d'une France entièrement résistante et mettant entre parenthèses l'occupation de la France ainsi que la collaboration du régime vichyste. Elle atteint son apogée en 1964 avec le transfert de cendres de Jean Moulin au Panthéon et le discours d'André Malraux donné à cette occasion. Dans les années 1970, des films et des recherches historiques vont permettre de « démystifier » la mémoire collective en dénonçant les crimes de Vichy, la déportation, et les autres atrocités commises pendant la collaboration. Cette période nous montre alors les limites de l'action du général De Gaulle: sa position de chef n'ayant pas été donnée par les institutions de la République française, il dut tenter de réécrire l'Histoire afin que son combat n'ait pas été mené en vain. Le 18 juin 2005, l'UNESCO classe l'appel de De Gaulle dans le Registre de la Mémoire du Monde, et le 10 mars 2006, le 18 juin est institué par décret en France, Journée Nationale non chômée et consacrée à l'hommage de «l'ensemble des résistants français, c'est-à-dire tous ceux qui ont refusé la défaite et continué à se battre, que cela soit dans les Forces Française Libre, à la tête d'un journal clandestin, sur les bancs de l'Assemblée Consultative Provisoire d'Alger ou dans un maquis ». Ainsi, la mémoire de l'appel, et de la guerre elle-même, continue après la victoire. Mais, le débat qu'il y eu entre Maurice Druon et Hervé Gaymard en 1998, amène à se demander si le gaullisme auquel « le 18 juin » était attaché existe encore aujourd'hui et, si oui, sur quoi est-il fondé ?

D) La bombe atomique

L'explosion de Fatman sur Nagasaki le 9 août 1945

Nous l'avons vu, les facteurs de singularité de la Seconde Guerre mondiale sont, plus que les dégâts matériels et pertes humaines aux ampleurs inédites, les événements qui en sont à l'origine. Autre événement majeur et preuve de cette caractéristique de la Seconde Guerre mondiale: l'apparition de la bombe atomique et les bombardements d'Hiroshima et Nagasaki.

La bombe atomique, ou bombe A, trouve ses origines dans la fin du XIXème siècle en Europe et est conçue au cours du projet Manhattan. Déjà en 1898, le physicien Ernest Rutherford et son coéquipier expliquent que la désintégration de certains noyaux d'atomes serait le résultat de la radioactivité. En 1911, après avoir reçu un prix Nobel pour "ses recherches touchant la désintégration des éléments [chimiques], et la chimie des substances radioactives", le chercheur découvre le noyau atomique en bombardant de fines feuilles de mica avec des particules alpha. En 1905, Einstein démontre sa fameuse théorie de la relativité E = mc2. Il montre ainsi que l’énergie totale dégagée par une quantité de matière quelconque est égale à sa masse multipliée par le carré de la vitesse de la lumière. Ces différentes théories sont directement à l'origine de la fabrication de la bombe A étant donné qu'elles vont permettre à Einstein de découvrir la méthode pour créer une telle arme. Dans une lettre destinée au président Roosevelt, Einstein explique qu'il est possible de créer une bombe fonctionnant avec l'énergie nucléaire. La probabilité exposée par le scientifique que les nazis soient déjà en voie de la construire oblige le président étasunien à lancer la fabrication de la bombe A en 1942. Le projet Manhattan, comme il est appelé, coûte environ deux milliards de dollars aux États-Unis mais permet la réalisation de trois bombes: Trinity, servant de coup d'essai qui est lancée dans le Nouveau Mexique le 15 juillet 1945, Littleboy, lancée sur Hiroshima le 6 août 1945, et Fatman, lancée sur Nagasaki le 9 août de la même année.

Le largage de la bombe atomique a-t-il été un crime de guerre en soit ? Pour le savoir, il nous faut prendre les effets d'une bombe A et ce qu'est la notion de crime de guerre.

La bombe A explose à 500 mètres au dessus du sol et dégage trois effets dévastateurs: au premier millionième de seconde, l'énergie thermique se libère et change l'air en boule de feu d'environ un kilomètre de diamètre de plusieurs millions de degrés. La température au sol, quant à elle, atteint plusieurs degrés au point d'impact. Sur un rayon de un kilomètre, tout est subitement réduit en cendres. Jusqu'à quatre kilomètres, Hommes et constructions prennent feu instantanément. Enfin, les personnes situées à 8 kilomètres de l'explosion sont brulées au troisième degrés. Après la chaleur vient l'onde de choc. Elle est générée par la pression due à l'expansion des gaz chauds et progresse à une vitesse d'environ 1 000 kilomètres à l'heure. Elle dévaste tout sur un rayon de deux kilomètres. Le troisième effet, le plus meurtrier, est celui de l'explosion nucléaire. La radioactivité libérée par l'explosion contamine les sols et entraine toutes sortes de maladies mortelles chez les citadins vivant près de la ville détruite ou ayant été proches de l'explosion. Mais les symptômes ne se manifestent que des mois voire des années après l'exposition de l'individu contaminé. Cet effet est donc encore méconnu en 1945. Rappelons-le, nous parlons de crime de guerre pour tout « Assassinat, mauvais traitement ou déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, assassinat ou mauvai traitement des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, exécution des otages, pillage de biens publics ou privés, destruction sans motif des villes et des villages, ou dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ». Cette notion, apparue après la Seconde Guerre mondiale pour punir les nazis, pourrait effectivement s'appliquer aux bombardements de Hiroshima et Nagasaki. Le projet Manhattan était à l'origine censé contrecarrer le programme nucléaire de l'Allemagne nazie. Après la défaite du IIIème Reich, certains scientifiques travaillant sur le projet éprouvent de la réticence à l'utilisation d'une telle arme par les États-Unis. Parmi eux se trouvaient Einstein et Leo Szilard qui déclara après la guerre: « Si les Allemands avaient largué des bombes atomiques à notre place, nous aurions qualifié de crimes de guerre les bombardements atomiques sur des villes, nous aurions condamné à mort les coupables allemands lors du procès de Nuremberg et les aurions pendus. ». En effet, des milliers de civils ont trouvé la mort dans ces deux explosions. Avant la guerre, les États-Unis avaient tenté de prohiber le bombardement indiscriminé de civils dans la Convention de la Haye sur les coutumes de guerre signée en 1923. Celle-ci stipulait que: "le bombardement aérien visant à terroriser la population civile, à détruire ou endommager des biens de nature non militaire ou à blesser des non-combattants est interdit" et que "le bombardement de cités, villes, villages, habitations et bâtiments hors des environs immédiats des opérations militaires terrestres est interdit. Dans les cas où les objectifs spécifiés au paragraphe 2 sont situés de sorte à ce qu'ils ne puissent pas être bombardés sans un bombardement indiscriminé de la population civile, l'avion doit s'abstenir de bombarder". Ainsi, bien qu'aucun État n'ait respecté cette convention, elle prouve que légalement, la bombe A n'aurait jamais dû être utilisée. La notion de crime contre l'humanité prend donc ici une tournure problématique avec l'apparition et l'utilisation de la bombe A. Les États-Unis, un des États à son origine, sont à présent concernés par ce crime. La bombe A posera de nouveaux problèmes au cours de la Guerre Froide, et notamment lors de la crise de Cuba en 1962, qui forceront à limiter l'utilisation de cette nouvelle arme en la classant comme arme de dissuasion. Elle sera aussi un des facteurs empêchant tout affrontement direct entre les deux blocs au cours de ce nouveau conflit.

Conclusion

Ainsi, la faiblesse des démocraties, l'apparition des régimes totalitaires et de l'impérialisme japonais, eux-mêmes liés à la Première Guerre mondiale, ont entrainé une Seconde Guerre mondiale. Ce second conflit planétaire, véritable guerre totale, s'est déroulé entre 1939 et 1945 en trois phases: une allant de 1939 à 1941 où l'Axe apparaît comme vainqueur, l'année 1942 où les tendances s'inversent, et la phase 1943-1945 où les Alliés enchainent les victoires. Enfin, cette guerre mondiale se singularise par des événements tels que l'apparition du système concentrationnaire nazi, la séparation entre la France collaborationniste et la France résistante, et les bombardements de Hiroshima et Nagasaki. Cette guerre causa de lourdes pertes humaines. Ce sont près de 60 millions de morts civils et militaires auxquels s'ajoutent les victimes des camps, des batailles, de la surmortalité engendrée par la sous-alimentation, la réapparition de maladies comme la tuberculose, et les effets à long terme des deux bombes atomiques lancées sur Hiroshima et Nagasaki, encore inconnus à l'époque. De même, les dégâts matériels et économiques atteignent des ampleurs restées inédites jusqu'à aujourd'hui. L'agriculture a été ravagée par les combats, et les infrastructures de transports sont inutilisables. En outre, les États sont touchés par une dette publique exorbitante, les ressources monétaires ayant été épuisé pour l'effort de guerre. Néanmoins, tous les pays ne sont pas touchés au même niveau par la guerre: le PIB du Japon en 1946 est revenu au niveau de 1917 tandis que ceux des États-Unis et du Canada ont largement augmenté, leurs territoires n'ayant pas été directement touchés lors des batailles. Enfin, la majeure partie de la population, en particulier en Europe, se retrouve sans abri et traumatisée par la violence de la guerre. Le traumatisme est tel que les déportés ressortis des camps n'osent pas parler dans un premier temps de ce qu'il leur est arrivé. En outre, de graves questions se posent: comment vivre avec les notions de génocide et crime contre l'humanité? Quelles sont les limites de la sauvagerie humaine? Comment vivre après la guerre? Du fait de ce traumatisme, des associations de mémoire se battent depuis 1945 pour que ce genre d'événement ne se reproduise plus par le rappel et la lutte contre l'oubli et le négationnisme. Parmi ces associations, qui se développent encore aujourd'hui, notamment en Autriche et en Espagne, nous retrouvons la FNDIRP ou Fédération Nationale des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes en octobre 1945, la Fondation pour la Mémoire de la Déportation créée en 1990, et plus récemment les Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, un nouveau XXème siècle commence. Un XXème siècle où tout est à reconstruire et où la paix dépend de la Grande Alliance et des relations entre l'URSS et les États-Unis, seules superpuissances ressortissantes de ce conflit.

Sources

    Sources littéraires:

  • -Ensemble documentaire pour la préparation du concours national de la résistance et de la déportation 2010
  • -Numéro spécial de la revue Résistance, réalisé par le musée de la Résistance
  • -Revue de la Fondation de la France Libre, L'Appel du 18 Juin 1940 et son impact jusqu'en 1945
  • -Du 18 Juin aux 18 Juin, article de Jean Louis Crémieux Brilhac paru en 2000 dans la revue Espoir, numéro 123
  • -« Il est temps de bâtir l'après-gaullisme », article de Renaud Dutreil paru dans Le Figaro le 27 et 28 Juin 1998
  • - « Nous nous appellerons gaullistes », article Hervé Gaymard paru dans le Figaro le 23 Juin 1998
  • -Noirs dans les camps nazis
  • -« Dites-le à vos enfants »
  • -La Lettre de la fondation de la Résistance « l'aide aux personnes persécutées et pourchassées en France pendant la Seconde Guerre mondiale: une forme de résistance »
  • -Dictionnaire historique du Japon, Volume 1
  •  -Par Seiichi Iwao,Teizo Iyanaga
  • -Manga, Histoire d’un empire japonais de Benoît Maurer

    Autres

    :
  • -Imperial Household Agency, Tokyo
  • -Japanese Library of Parliament Digital Archive
  • -Histoire 1erL-ES-S et 1er L-ES-S Géographie L'Europe, la France,édition Hatier, 2007
  • -Mémobac Histoire Géographie 1ère L-ES édition Bordas
  • -Livre d'Histoire de terminal L-ES-S, Histoire, le monde, l'Europe, la France de 1945 à nos jours, collection Jacques Marseille, édition 2008

    Voyages:

  • -Rapport de voyage à Mauthausen en 2009, avec l'AFMD du Loiret
  • -Rapport de voyage à Buchenwald et Dora en 2009, avec l'AFMD du Loir-et-Cher