Chapitre 1

La remise en cause du modèle romanesque du XIXème siècle

Introduction

I) Existentialisme

II) Lettrisme

III) Nouveau Roman

IV) Le totalitarisme et le genre romanesque

Introduction

Les deux guerres mondiales ont entraîné un véritable traumatisme moral de la population. Jamais la guerre n'a causé autant de dégâts ni autant de pertes humaines. Il est même probable que jamais l'Homme n'ait déjà fait preuve d'autant de violence. Ce traumatisme se ressent dans les romans de par les sujets abordés et les expériences faites par les romanciers. En effet, le roman réaliste représenté par Balzac et les auteurs du XIXème siècle, qui s'était imposé jusqu'ici comme le roman classique, est entièrement remis en cause.

I) Existentialisme

Initié par Kierkegaard au XIXème siècle, la question sur l'existence prend une place centrale dans la philosophie du XXème siècle du fait des deux-guerres. Cette philosophie existentialiste est principalement due à Martin Heidegger qui tend à étudier l'existence humaine par une démarche ontologique dans son œuvre phare Être et Temps paru en 1927 en Allemagne. Du fait du développement de cette philosophie et de sa propagation grâce à des auteurs comme Sartre, cette période est marquée par la multiplication de romans abordant des thèmes de l'existentialisme tels que la solitude, l'angoisse, la difficulté à communiquer, ou à trouver un sens à la vie et au monde.

Heidegger (1889-1976), http://palimpsestes.fr/textes_philo/heidegger/heidegger.htm

Ces romans se présentent généralement sous la forme de récit à la première personne du singulier, voire d'un journal. Ces romans apportent également une critique de la modernité, la nature humaine et de l'optimisme humaniste. En outre, les romanciers y usent d'un style proche de Dostoievski. Parmi les auteurs de ces romans, qui s'inscrivent dans la continuité du roman philosophique, se trouvent alors Jean-Paul Sartre avec La Nausée, ou même le polonais Witold Gombrowitcz. De même, des similitudes peuvent être notées entre l'existentialisme et les romans d'Albert Camus et Boris Vian. Enfin, on pourra voir en Kafka, auteur marqué par la philosophie de Kierkegaard et de Nietzsche ainsi que l'écriture de Dostoievski, un précurseur avec son roman Le Procès, publié en 1925, qui montre une existence privée de sens, l'œuvre racontant l'histoire d'un individu luttant contre une bureaucratie insaisissable mais menaçant sa vie. Ce roman marque par ailleurs le retour de l'invraisemblable dans le genre romanesque qui avait été jusqu'ici un peu délaissé.

II) Lettrisme

Dans une optique de bouleversement culturel, Isidore Isou fonde le lettrisme. Celui-ci propose en 1950 de transformer le roman comme dans le cadre de la poésie et de la musique. Dans cette conception de l'art, le renouveau du genre romanesque va de pair avec les arts plastiques. Isou considère en effet que pour apporter de l'inédit dans le roman après l'anéantissement de la représentation figurative par le dadaïsme et l'art abstrait et l'épuisement de la prose alphabétique par le Finnegans Wake de James Joyce, roman mêlant différentes langues au point qu'on ne peut supposer celle de départ. Le but était de créer une nouvelle structure formelle: l'hypergraphie qui se fonde sur l'agencement de l'intégralité des signes de la communication visuelle. Dans son Essai sur la définition, l'évolution et le bouleversement du roman et de la prose publié la même année, il propose entre autre de remplacer les termes phonétiques par des représentations allégoriques et divers graphismes sur la base de signes idéographiques, lexiques ou alphabétiques. Cette nouvelle prose est directement appliquée dans son roman Les Journaux des Dieux. Il propose finalement par un manifeste publié à la fin des années 1950, dans le cadre de la déconstruction du roman hypergraphique, le roman blanc, soit un roman constitué de pages blanches. En 1956, il est dépassé par le roman infinitésimal qui se constitue de n'importe quel support servant de tremplin mental au lecteur, convié à imaginer des narrations inexistantes voire inconcevables. En 1960 est créé le roman super-temporel proposant des cadres vides ouverts à la participation active et infinie des lecteurs qui pouvaient remplir à leur guise des supports vierges comme autant d'éléments constitutifs d'une prose perpétuellement changeante et interactive. De nombreux lettristes se sont essayés après Isidore Isou à ces nouvelles formes romanesques. Parmi eux se trouvaient Maurice Lemaître (Canailles en 1950) et Gabriel Pomerand (Saint-Ghetto-des-Prêts en 1950), Roland Sabatier (Manipulitude en 1963) et Anne-Catherine Caron (Roman à Équarrir en 1978).

III) Nouveau Roman

Le Nouveau Roman est une nouvelle expérience avec le lettrisme visant à remettre en cause le roman du XIXème siècle. Les premiers romans sont publiés par les éditions de Minuit et se singularisent d'emblée par un univers proche de celui de Kafka ou de Samuel Beckett. Il serait toutefois faux de voir en le Nouveau Roman une école littéraire unifiée par une esthétique commune comme le romantisme ou le surréalisme. L'on peut le voir rien qu'en comparant les épopées tragiques de Claude Simon et l'impressionnisme psychologique de Nathalie Sarraute. De même, bien que ce mouvement apparaisse comme typiquement français, des expérimentations semblables peuvent être observées en Grande-Bretagne avec Ann Quin ou en Italie avec Carlo Cassola.

IV) Le totalitarisme et le genre romanesque

L'expérience du totalitarisme au XXème siècle a marqué le roman d'après-guerre plus directement encore. En effet, suite à la Seconde Guerre mondiale paraissent deux nouveaux types de procédé d'écriture: les œuvres racontant des événements réels tout en conservant les marques du roman et des romans contre-utopiques dénonçant par la fiction ces régimes et les crimes commis. Dans le premier groupe, l'on retrouve Si c'est un homme de Primo Lévi, publié en 1947, La Nuit d'Elie Wiesel publié en 1958, ou encore Être sans destin d'Imre Kertesz sorti en 1975. Dans le second, les exemples les plus célèbres restent 1984 ou La ferme des Animaux de Georges Orwell dénonçant le totalitarisme et en particulier le stalinisme qui perdure après la guerre.

L'après-guerre est donc une période de grands bouleversements dans l'évolution du genre romanesque.