Chapitre 3

La "mutation féodale"

Introduction

I) La mutation féodale selon Jean-Pierre Poly et Eric Bournazel

II) La mutation féodale objet de débats

Introduction

La mutation féodale est une rupture mise en avant par certains historiens pour montrer un changement radical au niveau de l'organisation sociale de l'Empire. Elle reste cependant l'objet de nombreux débats.

I) La mutation féodale selon Jean-Pierre Poly et Eric Bournazel

La mutation féodale est le fruit en particulier d'une recherche menée dans les années 1980 par Jean-Pierre Poly et Eric Bournazel, deux historiens spécialistes de la période médiévale. Ils mettent en avant l'existence d'une rupture sociale radicale entre le Xème et le XIIème siècle dans un livre intitulé La Mutation Féodale Xème -XIIème siècle. À cette période s'installerait pour près de huit siècles la société féodale. Au cours du IXème et Xème siècle, le roi de France et l'empereur germanique se voyaient dépossédés de la plupart de leurs pouvoirs au profit des Grands. Au cours du Xème siècle, deux nouveaux éléments entrent en jeu: les seigneurs ou sirs comme ils étaient appelés à l'époque, et les châteaux. Les seigneurs étaient des soldats de Grands qui ont été récompensés par des terres du fait du manque d'argent. Lorsque le prince ou Grand offrait une terre, la seigneurie ou fief, au soldat, un pacte était passé. Le soldat prêtait hommage au prince et lui jure fidélité: il devient alors le vassal de ce prince, alors appelé suzerain par les historiens. Le vassal devait alors aider militairement le premier suzerain à qui il a prêté serment, étant donné qu'il peut en avoir plusieurs, en cas de besoin. La vassalité était par la suite transmise de père en fils. Ce système féodo-vassalique ne se limite toutefois pas qu'aux princes et seigneurs. En effet, des vassaux et suzerains existaient aussi parmi les princes et parmi les sirs. De même, une autre classe sociale se forme avec l'apparition de seigneurs dont la puissance atteindrait presque celle des princes: les barons. Selon Poly et Bournazel, ces sirs auraient au cours de cette période commencé à construire des châteaux forts afin d'accroître leur pouvoir, parfois au détriment des comtes et ducs dont ils étaient soldats. Entre le IXème et le XIème siècle, se sont environ 6 000 châteaux de construis en France. Au cours du XIIème siècle, ceux-ci sont reconstruis en pierre afin de les rendre plus résistants face aux guerres récurrentes entre les sirs et les Grands qui se faisaient concurrence. Ces guerres avaient pour but non pas de tuer mais de permettre la réappropriation de richesses en tout genre. Elles constituaient néanmoins un motif pour la création, par le biais du système féodo-vassalique, de clans et d'alliance militaires dans lesquelles les femmes devenaient un véritable prix d'échange. Progressivement, une nouvelle société apparaissait au milieu des guerres et pillages intempestifs entre ces clans: la société féodale.

II) La mutation féodale objet de débats

Les nombreux débats sur la mutation féodale sont en grande partie dûs à l'historien Dominique Barthélemy qui analyse cette même période dans les années 1990 et démontre que cette période ne représentait aucune rupture particulière, la société évoluant lentement depuis le Haut Moyen-Âge. En effet, la chevalerie naît sous les carolingiens, quant au servage, il commence à décliner au même moment. Il explique en outre que le clergé, souvent peint comme la protectrice des plus faibles, avait joué un rôle dans la violence féodale du XIème siècle. Clercs et sirs étaient liés pour maintenir leur domination sur les paysans d'après ce qu'il écrit dans Chevaliers et miracles: la violence et le sacré dans la société féodale, paru en 2004. Dans son dernier ouvrage La chevalerie. De la Germanie antique à la France du XIIe siècle, paru en 2007, Barthélemy montre une Église qui, sous l'image d'une chevalerie assagie et disciplinée par le mouvement de la paix de Dieu, rend presque la chevalerie plus dure, notamment par les croisades. L'adoucissement des sirs serait dû selon lui plus aux princes eux-mêmes qui faisaient des combats une fête. Barthélemy présente donc une vision radicalement différente de celle de Poly et Bournazel, qui trouve de nombreux échos. À cela s'ajoutent de nouveaux problèmes ne serait-ce que dans les concepts employés: la société féodale englobe quel peuple, quel territoire et se distingue par quoi? Là aussi les débats sont nombreux.

Ainsi un troisième phénomène, s'il a existé, aurait mis fin à l'ordre carolingien. Il faut toutefois prendre de la distance face à cette cause, encore sujet de nombreux litiges entre historiens.